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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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qu’il peut tenter c’est de diriger l’ Italia vers un champ de neige. Il n’y a aucune neige à l’horizon. Seulement la glace, ses blocs menaçants, ses arêtes tranchantes, ses aspérités terrifiantes. Alors, pour éviter, à l’atterrissage, l’explosion et l’incendie, Nobile ordonne de couper les moteurs.
    On dirait qu’elle s’élance à l’assaut du dirigeable, la glace. Voilà. C’est fini. Adieu, la vie. Un fracas formidable. Et la nuit.
     
    « Lorsque je rouvris les yeux, je me trouvais sur une masse de glace au milieu d’un pack qui ressemblait à l’enfer. Je levai la tête. L’aéronef, la poupe en bas, s’envolait, porté par le vent. Il était horriblement éventré dans la partie qui correspondait à la cabine de commandement. On voyait pendre des lambeaux de tissu, des câbles, des morceaux de l’armature. Je remarquai que l’enveloppe était fortement froissée. La cabine avait perdu le plancher et la paroi de gauche. Sur le flanc de l’aéronef mutilé se détachaient les lettres noires Italia . Mes yeux, fascinés, s’y fixèrent longtemps, jusqu’à ce que le dirigeable se lut perdu dans le brouillard. Alors seulement je sentis mes blessures. La jambe et le bras droits étaient brisés, douloureusement. J’étais blessé au visage et au sommet du crâne. J’éprouvais à la poitrine, par suite de la violence du choc, des douleurs aiguës et lancinantes. Tout à coup, j’entendis une voix, celle de Mariano, qui demandait à quelqu’un : “Où est le général ? ” Je regardai alors autour de moi. Je n’avais jamais vu un pack aussi effrayant : des blocs de glace bouleversés s’étendaient jusqu’à l’horizon. À ma droite, à deux mètres de distance, était assis Malmgren. Plus loin, Cecioni, qui se plaignait à haute voix. Les autres étaient debout : Mariano, Behounek, Trojani, Viglieri, Biagi. Ils paraissaient indemnes. Seul Trojani portait quelques taches de sang au visage. »
    Il fallait citer intégralement ce passage du récit d’Umberto Nobile. Tout commentaire affaiblirait l’expression de ces souvenirs tracés avec une précision quasi photographique. Jusqu’à son dernier jour, Nobile non seulement a revu, mais revécu sans cesse cet épisode d’une tragédie qui cependant, pour lui – il ne le saura que trop tôt –, ne faisait que commencer.
    Autour de lui, les hommes de l’ Italia ont éprouvé diversement le choc. Certains – ceux qu’il a vus debout – sont indemnes. Trois hommes ont été blessés : lui-même ; Cecioni atteint aux deux jambes ; et Zappi – oublié dans son énumération – et qu’il va découvrir étendu non loin de lui, blessé au visage et se plaignant d’une douleur dans la poitrine :
    — Croyez-vous que j’aie une côte cassée, général ?
    Tous ces hommes ont considéré avec la même stupéfaction mêlée d’horreur le bond prodigieux accompli par l’ Italia après qu’il se fut débarrassé de sa cabine et de son lest humain. Cecioni, entre autres, a clairement distingué la silhouette du professeur Aldo Pontremoli et celle du journaliste Ugo Lago. Au moment de l’accident, ils marchaient sur la coursive intérieure et visiblement s’apprêtaient à descendre dans la cabine. Horrifiés, ils se tiennent accrochés au bord de l’orifice où aurait dû se trouver l’échelle. Dessous, il n’y a plus que le vide. Cecioni a pu voir aussi Alessandrini suspendu, d’une main, à une poutrelle tordue. Muet, épouvanté, il regardait ses camarades abandonnés dans les glaces – et qui l’abandonnaient. En revanche, l’ingénieur Ettore Arduino s’agitait fébrilement. Il jetait par-dessus bord, pêle-mêle, tout ce qui se trouvait à sa portée : provisions, équipement, bidons d’essence. Sans Arduino et sans le matériel dû à son incroyable présence d’esprit, jamais les naufragés de la banquise n’auraient survécu.
    Le dirigeable, emportant six hommes vers l’inconnu, s’est perdu dans le brouillard.
     
    Combien d’hommes sur le pack ?
    On découvrira sur un bloc de glace le cadavre recroquevillé du second-maître mécanicien Pomella. Dix membres de l’équipage ont donc été projetés dans le vide. Il en reste neuf.
    Sans compter la petite chienne Titina qui, ravie de retrouver ce qu’elle prend pour le plancher des vaches, court dans tous les sens en aboyant joyeusement avant de venir lécher avec bonheur le visage de son maître.
    Neuf hommes que Nobile

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