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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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jusqu’à la glace. La grande croix de chêne de Pie XI, retenue par un long ruban tricolore, le rejoint en tournoyant. À l’intérieur de l’habitacle, un membre de l’équipage met en marche un petit gramophone, cadeau d’une admiratrice de Milan. On entend Le campane di San Giusto , une romance populaire italienne. Quelle émotion ! Le radio Biagi expédie un message à l’adresse du Saint-Père, un autre au roi, un troisième à Mussolini. Les yeux humides, le capitaine de corvette Zappi hurle :
    —  Viva Nobile !
    Malmgren étreint le général, imité par le professeur Behounek. On sert un punch aux œufs. Après quoi Malmgren, rêveur, lance à Nobile :
    — Peu d’hommes au monde peuvent dire comme nous qu’ils ont été deux fois au pôle Nord.
    Peu d’hommes. Exactement six Italiens et un Suédois.
     
    Le largage d’une équipe sur la glace ?
    D’instant en instant, le brouillard s’épaissit. Les rafales de vent secouent le long fuseau. À bord de l’habitacle, tout frémit, tout s’agite. L’atterrissage ? Dans de telles conditions, une folie. Ce sera pour une autre fois. S’il y a une autre fois.
    À 2 h 20, Nobile donne l’ordre de mettre cap au sud.
    Le vent. Il semble à tous qu’il a redoublé. Le dirigeable lutte de toute la puissance de ses moteurs. En vain. Quoi qu’on fasse, on dérive vers l’est. Le soleil ? Pour tous ces hommes, il ne s’agit plus que d’un souvenir. On navigue au sein d’un brouillard de plus en plus épais, comme en pleine nuit.
    Et cela dure vingt-quatre heures. Une évidence : Nobile ne sait plus où il se trouve. Bien oubliées à bord, cette joie, cette fierté qui avaient marqué l’arrivée au pôle. Les hommes se taisent, accomplissent mécaniquement les tâches de plus en plus difficiles qui leur sont confiées. Ou bien, dans leur hamac, ils tentent de dormir, cependant que la tempête siffle au dehors et que l’aéronef tressaute, vacille, minuscule jouet dans la tourmente.
    Le but de Nobile : sortir au plus vite de cette zone de tempêtes. Il accélère, fait augmenter le régime des moteurs. Même à pleine vitesse, impossible de dépasser 62 kilomètres à l’heure. Les rafales deviennent si violentes, atteignant souvent 50 kilomètres à l’heure, que parfois le dirigeable vire – involontaire soubresaut – de 30°.
    Le plus grave peut-être, c’est cette glace qui se forme partout à l’extérieur. Le 24, dans l’après-midi, on constate qu’elle ne cesse de s’épaissir, alourdissant dangereusement l’appareil. Le phénomène s’aggrave encore dans la soirée. Où va-t-on ? Biagi, le radio, va détacher de l’antenne de la radio un cylindre de glace d’un diamètre de 4 à 5 centimètres. Il le pend ironiquement dans un coin de la cabine comme pour rappeler, en l’absence de tout chauffage, qu’il y fait aussi froid qu’au-dehors.
    Au matin du 25 mai, il y a trente heures que l’on a quitté le pôle. Depuis longtemps, on devrait apercevoir les côtes septentrionales du Spitzberg. Or on ne voit rien. Rien.
    Nobile n’a pas dormi une minute. Il n’y pense même pas. Il partage son temps entre le tableau de bord, les mesures de vitesse et la cabine radio.
    9 h 25. Trojani, qui se trouve au gouvernail de profondeur, hurle :
    — Gouvernail coincé !
    Branle-bas. Les officiers de marine accourent, Viglieri parvient à libérer la roue du gouvernail. On reprend de l’altitude – jusqu’à 900 mètres – et du coup on retrouve le soleil. Il est nécessaire, pour contrôler la dérive, de rester en vue des glaces. Nobile se résigne à redescendre. De nouveau, au-delà des vitres de l’habitacle, ce sacré brouillard… Et la glace.
    Il semble que tout va mieux. Le gouvernail ne pose plus de problème. La vitesse reste régulière et même elle augmente. Il est 10 h 25. Un cri :
    — Nous sommes lourds !
    C’est vrai. De plus en plus l’ Italia s’incline vers l’arrière. Il descend. Il n’arrête pas de descendre. La banquise se rapproche – à une allure terrifiante. De sa voix coupante, le général lance :
    — Accélérez les deux moteurs ! Mettez en marche le troisième !
    Cette manœuvre est logique. Elle doit comporter pour effet de faire remonter l’aéronef. Il remonte. Du moins Nobile le croit. Il se trompe. L’ Italia descend, au contraire. Et même sa chute s’accélère. Il n’y a plus rien à faire. Plus rien. En un éclair, le général se dit que tout ce

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