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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1
Autoren: Alain Decaux
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Cette cuisinière, décidément… Caillaux s’empourpre :
    — Fous-la dehors, tout de suite !
    Henriette lui demande ce qu’il va faire.
    — Casser la gueule à Calmette !
    — Mais quand ?
    — À son heure !
    Il est reparti. Elle est seule. Elle médite. Casser la gueule à Calmette ? Est-ce que cela suffira pour l’intimider ? Et puis comment ? Jamais on ne laissera Caillaux entrer au Figaro  !
    Mais elle, peut-être…
    Un psychiatre, plus tard, parlera d’elle en évoquant un dédoublement de la personnalité. C’est très exactement ce que suggère son emploi du temps dans les heures qui suivent. D’une part , elle continue à vivre comme a toujours vécu Mme Caillaux : elle se rend dans un bureau de placement engager une nouvelle cuisinière. Elle va commander chez Potel et Chabot le dîner qu’elle doit offrir dans quelques jours au ministère des Finances. Elle prépare sa robe pour le soir. Mais, d’autre part , en sortant de chez Potel et Chabot, elle passe, près du rond-point des Champs-Elysées, chez le célèbre armurier Gastine-Renette et demande à acquérir un revolver. On lui en montre un, il est trop lourd. Un autre lui convient parfaitement. Le vendeur suggère :
    — Madame fera un carton ?
    Elle accepte, descend dans le stand de tir. Il y a là une cible de 1,62 mètre, taille d’un homme moyen. Elle tire, amuse le vendeur parce qu’elle a tiré trop vite. Pourtant, elle a touché trois fois la silhouette.
    Elle passe au Crédit Lyonnais, retire des dossiers. Elle rentre chez elle, s’assoit devant le petit bureau Louis-XV et écrit :
     
    Mon mari bien-aimé,
    Quand ce matin je t’ai rendu compte de mon entretien avec le président Monnier, qui m’avait appris que nous n ’ avions en France aucune loi pour nous protéger contre les calomnies de la presse, tu m’as dit que, ces jours-ci, tu casserais la gueule à l’ignoble Calmette. J’ai compris que ta décision était irrévocable. Mon parti à moi fut alors pris : c ’ est moi qui ferai justice. La France et la République ont besoin de toi. C’est moi qui commettrai l’acte.
    Si cette lettre t’est remise, c’est que j’aurai fait ou tenté de faire justice.
    Pardonne-moi, mais ma patience est finie.
    Je t’aime et je t’embrasse du plus profond de mon cœur,
    Ton Henriette.
     
    Elle demande la voiture, y prend place, fait enlever la cocarde tricolore et ordonne :
    — Au Figaro , rue Drouot.
    Il est 5 heures quand elle entre dans le salon du journal. À l’huissier, elle demande M. Calmette. L’huissier l’informe que le directeur n’est pas arrivé et que, de toute façon, s’il vient…
    Péremptoirement, Henriette rétorque :
    — Il me recevra.
    Elle tend une enveloppe. Dedans, il y a une carte.
    Elle s’assoit, attend. Non loin de là, des journalistes parlent. Distinctement, elle entend le nom de Caillaux, on parle de publications nouvelles, d’accusations prochaines. Les journalistes déposeront plus tard : aucun n’avait prononcé le nom de Caillaux, ils n’ont parlé que de mode. Preuve nouvelle, chez Henriette, d’une hantise proche de la psychose. L’horloge sonne 5 heures et quart. Elle sonne 5 heures et demie. Puis 5 heures trois quarts. Puis 6 heures.
    Et Calmette survient, avec sa tête forte, sa moustache, ses lorgnons. Il est accompagné par Paul Bourget, comme si la Belle Epoque finissante voulait que son dernier scandale eût pour témoin son chantre. À Bourget, Calmette a annoncé qu’il ne ferait qu’entrer et sortir, car il doit voir Barthou à 6 heures. L’huissier l’informe : une dame est là. Calmette a un geste de dénégation, mais l’huissier lui tend l’enveloppe, qu’il déchire : cette dame est Mme Caillaux !
    Bourget se montre peut-être plus étonné encore :
    — Vous n’allez pas la recevoir.
    — Mais si. Je ne peux pas fermer ma porte à une dame.
    Bougon, l’écrivain, annonce qu’il attendra Calmette dans l’escalier. L’huissier vient chercher Henriette. Dans son manchon, cependant qu’elle avance vers le bureau, elle tire le revolver de l’étui, elle l’arme.
    Dans la pénombre, Calmette la regarde avancer.
    — Vous savez pourquoi je viens.
     
    Henriette ne cessera de tirer qu’une fois le chargeur vide. Calmette, touché par la première balle, s’est affaissé. La police retrouvera les impacts de deux balles dans la bibliothèque. Calmette en a reçu quatre en plein corps.
    Au bruit, l’huissier est
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