C'était le XXe siècle T.1
d’assises. Le conseiller Albanel préside. Le procureur général Herbeaux portera l’accusation. Pour la partie civile plaidera M e Chenu. Et pour Mme Caillaux, le grand Labori, de l’affaire Dreyfus. Un frémissement : on vient d’introduire l’accusée. Dans le public, on la trouve jolie, élégante, avec son corsage échancré. « Elle porte de longs gants noirs et un chapeau de paille noire aux bords relevés, garni de satin et surmonté d’une longue plume noire. Elle a à la main un petit sac, noir lui aussi, bourré de papiers (6) . »
Dès la première réplique, le ton du procès sera donné. Au lieu de « Accusée, levez-vous », le président demande :
— Voulez-vous vous lever, madame ?
Elle s’explique, Henriette. Elle raconte toute l’affaire, elle parle de son long calvaire, de sa peur panique quand elle a vu paraître un fragment d’une lettre intime que Caillaux, alors son amant, lui adressait. Elle rappelle qu’elle a été mariée à M. Léo Claretie, dont elle a une fille. Voir sa liaison mise à nu, c’était une perspective qu’elle ne pouvait supporter. Doucement, elle dit :
— C’est vrai, je n’en rougis pas, je suis une bourgeoise.
N’importe, elle affirme qu’elle ne voulait pas tuer Calmette. Elle s’était rendue au Figaro pour mettre son directeur devant ses responsabilités. Elle avait longtemps hésité :
— Je ne savais pas encore si j’irais à un thé ou au Figaro .
Le revolver ? C’est une habitude que lui avait inculquée son père : porter toujours un revolver sur soi dans les circonstances graves. Elle jure qu’elle n’avait pas l’intention de s’en servir :
— C’est effrayant, un revolver comme ça. Ça part tout seul.
Elle dit encore :
— C’est la fatalité. Je déclare ici que j’aurais préféré laisser publier n’importe quoi plutôt que d’être la cause de ce qui est arrivé.
En fait, le procès est tout entier dominé par Caillaux. À toutes les audiences, il est là. Toujours. On dirait qu’il surveille tout. À chaque instant, il se dresse, darde un regard foudroyant sur le président, les avocats, les témoins. À l’une de ses questions, M e Chenu répond :
— Parfaitement, monsieur.
— Monsieur ?
Le mot a éclaté, cinglant. Chenu comprend :
— Comment voulez-vous que je vous appelle ? Ah ! monsieur le ministre ? Certainement, monsieur le ministre.
Dans le public, beaucoup de chevelures très noires : Caillaux se fait protéger par une garde corse. Celle-ci manifeste intempestivement, prenant à partie, lors des suspensions, les ennemis de Caillaux. Jusqu’au bout, le président tolérera la présence de cette étrange garde prétorienne.
À la barre, les témoins défilent. Voici Latzarus, rédacteur au Figaro . Il évoque les derniers instants de Calmette, parle des papiers qu’il a trouvés dans le portefeuille de Calmette agonisant : il s’agit des télégrammes allemands qui prouvent que, en 1911, Caillaux a négocié seul avec l’Allemagne sans en référer au gouvernement.
— Je pense que tout bon Français qui les aurait lus comme moi, dit Latzarus, aurait dû conclure à l’infamie et à la trahison de l’homme qui était mis en cause dans ces documents. Calmette m’a dit qu’il ne les publierait pas, parce que leur publication ferait courir un danger à la patrie.
Dans la salle, l’émotion monte. Va-t-on connaître la vérité ? Non. La partie civile elle-même, par l’organe de M e Chenu, demande que l’on passe à autre chose. On a décidé en haut lieu qu’il ne fallait pas faire mention du document vert. La Défense nationale était en cause. L’avocat de Mme Caillaux, Labori, sait très bien ce qu’il en est. Il ne s’en dresse pas moins, feignant une sainte colère, pour crier qu’« il ne tolérera aucune équivoque ». Si le témoin Latzarus ne s’explique pas sur le document vert, c’est qu’il en a menti et qu’on ne peut rien reprocher à M. Caillaux ! Caillaux se dresse, lance :
— Quand on attaque, il faut aller jusqu’au bout de ses attaques !
Labori ajoute :
— Il y a eu des chiffons de papier…
— … Des faux ! crie Caillaux.
— … Qui ont été portés au président de la République. Ces documents sont aux mains du gouvernement : il nous faut une explication complète du gouvernement. Je demande la saisie de ces documents. Pourquoi ne sont-ils pas aux débats ? Je ne plaiderai pas
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