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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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dans ces conditions. Je ne vois pas pourquoi, moi, défenseur, je serais solidaire de je ne sais quelles équivoques qui peuvent être acceptées dans les parlements, qui ne le seront pas, tant que je serai à la barre, dans un prétoire de justice !
    Tumulte. Embarras des magistrats et des avocats. Non, décidément, on ne lira pas le document vert. Et Caillaux marque un point. Sans modestie, il triomphe.
    Le 23 juillet, Mme Gueydan est à la barre. Sensation. Le président la malmène, parle de la correspondance dont elle s’est emparée. Très brune, très belle, elle répond :
    — J’en avais le droit.
    Le président la somme de dire où sont les lettres.
    — Elles sont là, dans mon sac.
    Elle joint le geste à la parole, tire de son sac un paquet qu’elle brandit. Dans la salle, des gens se lèvent. Mme Gueydan explique du même ton égal :
    — Il n’y en a pas deux ou trois comme on l’a dit. Il y en a huit.
    Elle parle lentement, comme si une foule de souvenirs lui revenaient à la mémoire et au cœur.
    — Elles ne sont terribles pour personne sinon pour moi. Ce sont des lettres d’une femme furieuse qui veut me faire jeter dehors. On n’y parle pas politique.
    Me Chenu intervient, brutalement :
    — On ne vous croira pas.
    — Elles sont à l’honneur de M. Caillaux, dit vivement Mme Gueydan.
    — On ne vous croira pas.
    — Elles n’intéressent que moi.
    — On ne vous croira pas.
    — Ceux qui disent les avoir lues ont menti.
    — On ne vous croira pas.
    M e   Chenu insiste : il faut lire ces lettres.
    Finalement, les huit lettres seront remises à M e  Labori et à M e  Chenu. Le lendemain, on en lira deux à l’audience. Le public se montrera très déçu. Ce sont des lettres sans éclat, très simples. On attendait des révélations croustillantes. On reste sur sa curiosité.
    Cependant la triple confrontation de Mme Gueydan avec Caillaux et Mme Caillaux a permis de mieux comprendre qu’au-delà du contexte politique, l’affaire est aussi l’affrontement de trois êtres passionnés, déchirés.
    Certains moments dépassent les limites de la décence. Caillaux est ainsi, il ne sait jamais jusqu’où il ne faut pas aller trop loin. À Mme Gueydan, il adresse des propos insultants, rappelant qu’elle n’avait « pas un centime » quand elle l’avait épousé et que, depuis, elle a touché beaucoup d’argent.
    Le public le hue. Il fait face, avec un dédain immense. Il dit qu’il n’a pas de haine pour Mme Gueydan, que son attachement pour elle était sincère :
    — Nous n’étions pas un ménage admirable, mais nous étions des amis admirables.
    Puis il passe à Henriette. La voix changée, il affirme son amour pour elle. Il montre le banc de l’accusée :
    — Je revendique ma place parce qu’elle est ma femme, parce que je la sais et que je la sens un être de bonté, et parce qu’elle est de ma race, que je l’ai choisie et que je l’ai prise pour cela.
    — Je ne répondrai pas, dit Mme Gueydan, aux insultes de M. Caillaux. Je lui pardonne.
    — Et moi, je pardonne à Mme Gueydan.
    Caillaux quitte la barre, s’élance vers le banc des accusés, prend les mains de sa femme entre les siennes, les embrasse longuement. Quand il quitte la salle, il a l’air d’avoir lui-même levé l’audience. À ce point que le président Albanel, décontenancé, n’a plus qu’à confirmer. Mme Caillaux sanglote. Mme Gueydan est acclamée.
    Autre moment qui ressemble à un déballage : Caillaux lit à la barre le testament de Calmette et révèle que le directeur du Figaro laisse 13 millions à ses héritiers. 13 millions-or ! Lui qui n’avait rien à ses débuts. Par quels moyens, demande Caillaux, a-t-il acquis une telle fortune ? On eût préféré que Caillaux ne piétinât point ainsi un cadavre. Les audiences succèdent aux audiences. Le spectre de la guerre se dessine chaque jour avec plus de force. La Russie interviendra-t-elle contre l’Autriche ? Et l’Allemagne qui est l’alliée de l’Autriche ? Et la France qui est l’alliée de la Russie ?
    Pendant ce temps, les experts pérorent. Le colonel Aubry, spécialiste de balistique, agite les bras pour démontrer que « la victime s’est littéralement jetée sous les balles ». Ce qui ne manque pas d’étonner le jury et le public. Le docteur Doyen déclenche l’hilarité en endossant un paletot de démonstration. Le président Albanel affiche une partialité parfaitement sans

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