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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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demande :
    — Pardon, lequel est Jaurès ?
    — C’est celui qui marche au bord du trottoir !
    — Merci.
    Jaurès et ses amis se rendent au café du Croissant. Jaurès s’assied, le dos à une fenêtre ouverte. Exactement comme il le fera le lendemain. Villain, immobile, reste à l’épier pendant une demi-heure. Il pourrait tirer. Il ne le fait pas. Il expliquera :
    — Je n’ai pas tiré parce que je sentais que c’était un acte trop grave. Je n’avais pas l’idée, la volonté.
    Quelques heures plus tôt, il voulait tuer Jaurès à la sortie de l’Humanité  ! Mais Raoul Villain n’est pas à une contradiction près.
    Jaurès prend congé de ses amis. On lui a appelé un taxi dans lequel il monte. Villain, immobile, regarde s’éloigner la voiture rouge.
     
    Le 31 juillet, Jaurès se lève vers 8 h 30. Louise, sa femme, est partie au pays, avec Louis, son garçon. À la maison, 8, impasse de la Tour, il n’y a que Madeleine – qu’il appelle Malou et qu’il aime tendrement. Elle a vécu un terrible drame : la naissance d’un enfant hydrocéphale, sourd-muet, paralysé. Ce qui l’a éloignée de son mari, un certain Delaporte, insignifiant et laid, mais rapprochée de son père. C’est pour ne pas le laisser seul à Paris qu’elle est restée cependant que sa mère partait pour leur maison de campagne de Bessoulet.
    Madeleine, ce matin-là, a préparé le petit déjeuner de son père. Quand, pour lui annoncer que le café était prêt, elle est entrée dans sa chambre, elle l’a trouvé encore au lit, mais éveillé. Elle s’est étonnée. Il a eu un mouvement de lassitude et d’impuissance. La veille, il écrivait que nul homme sensé ne pourrait plus dormir quand se réveillaient « les passions bestiales qui sommeillent au cœur de l’humanité ».
    À la table du petit déjeuner, il lit la presse. Un seul mot, cent fois répété : la guerre. Les trains militaires ont roulé toute la nuit vers les frontières.
    À 9 heures du matin, le philosophe Lévy-Bruhl, son ami, sonne. Il sue l’angoisse.
    — Il faut espérer, dit Jaurès.
    À 11 heures, Lévy-Bruhl le quitte. À sa fille, Jaurès déclare :
    — Je vais à la Chambre voir les ministres, savoir si, par une action commune avec l’Angleterre, il existe un moyen d’engager des négociations.
    Il passe par l’Humanité  :
    — Que fait l’Angleterre ? Sait-on quelque chose ?
    Marius Viple, un de ses collaborateurs, lui répond :
    — Elle ferait une dernière tentative pour arriver à une médiation.
    Il voit venir vers lui le capitaine Gérard, un jeune officier qui, avec d’autres, l’a conseillé pendant sa campagne contre les trois ans. C’est à Henri Gérard que Jaurès a dédié son livre l’Armée nouvelle . Gérard se souviendra que, ce jour-là, il a trouvé Jaurès seul dans son bureau, la tête entre les mains – « cette tête paraissait fulgurante, énorme, trop grande pour cette pièce ». Jaurès a paru « écrasé par les événements » : « Il leva les yeux sur moi, les détourna puis, tout à coup, il murmura ces mots : Il faut que je télégraphie à Wilson que la cause de la France est juste . Puis, un instant après, il continua : Pourvu que l’Angleterre marche, que l’Angleterre comprenne . Ce sont ses paroles textuelles. »
    Que l’Angleterre marche ? Est-ce à dire qu’il se résigne à la guerre ? Nullement. Avant tout il espère que la Grande-Bretagne poursuivra jusqu’au bout la tâche de médiatrice dans laquelle elle s’est engagée.
    Maintenant il est seul dans son bureau. Par la fenêtre ouverte, il regarde la ville accablée de soleil, surchauffée.
     
    À 1 heure de l’après-midi, Raoul Villain est entré dans un restaurant du boulevard du Montparnasse, il a commandé une omelette aux fines herbes qu’il a mangée avec un calme qu’ont souligné les témoins. L’après-midi, il regagne son domicile et démarque son linge. Après quoi il s’en va se promener au Luxembourg. Il rencontre un ami, lui demande, en cas de mobilisation, quand il part, déclare que, pour lui, c’est le troisième jour.
    Il va saluer la grand-mère d’un ami, passe par Notre-Dame, entre, allume un cierge devant la statue de Jeanne d’Arc.
    À 18 heures, il s’engage sur les quais qu’il suit sans hâte. Il gagne la rue de Verneuil, entre chez un coiffeur, se fait couper les cheveux.
    À 19 heures, il se retrouve chez lui. Il se repose. Ensuite, il glisse dans

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