C'était le XXe siècle T.1
a été prononcée, le jeudi 10 juin 1915, par le capitaine Brocard, chef de l’escadrille M.S.3 à l’intention d’un jeune pilote fort inconnu, arrivé de la veille et qui se nommait Georges Guynemer.
Il n’est pas grand, Guynemer : pas plus de 1,70 mètre, mais comme il est maigre ! Une sorte de « fil de fer monté en graine ». Si malingre que, dès qu’on le voit, on se demande comment on a pu faire de lui un pilote d’aviation.
Si le capitaine Brocard, fou de colère, l’appelle « petit con », c’est parce qu’il a « cassé » deux avions en une seule journée. Par chance, un pilote qui traîne par là prend la défense du blanc-bec : c’est vrai que ce jeune Guynemer est bien un peu nerveux et qu’il a endommagé deux appareils en atterrissant. C’est beaucoup à une époque où l’aviation militaire française tout entière n’en compte que deux cents. Mais le pilote s’appelle Védrines, il dispose d’un pedigree propre à le faire prendre au sérieux : il a remporté en 1911 la course Paris-Madrid et, aux États-Unis, la coupe Gordon-Bennett en volant à 167,8 km à l’heure. Il insiste : les deux avions sont parfaitement réparables ; quelques heures de travail et ils pourront reprendre l’air. Quand le « petit con » aura surmonté sa nervosité, on pourra en faire quelqu’un.
Difficile, même quand on est capitaine, de résister à un Védrines. Brocard grommelle dans sa moustache quelques onomatopées que personne n’entend mais que tout le monde comprend : on va garder Guynemer. Provisoirement.
Pour les pilotes de la M.S.3 – qui deviendra bientôt la fameuse escadrille des Cigognes – ce Guynemer-là l’a échappé belle. Or il revenait de bien plus loin encore.
Sept mois plus tôt, le 22 novembre 1914, le capitaine Bernard-Thierry, commandant l’École des pilotes à l’aérodrome de Pont-Long, près de Pau, a vu entrer dans son bureau un monsieur de grande allure, arborant une moustache agressive et escorté d’un adolescent blafard, transparent à force de maigreur. Le monsieur s’est présenté comme étant Paul Guynemer, « ancien officier ». Bernard-Thierry a tout de suite senti que, derrière lui, il y avait « beaucoup d’argent et quelques châteaux (12) ». Déjà le père s’explique. Poli, correct, mais sachant ce qu’il veut, il expose que son fils – le gringalet n’ouvre pas la bouche – a fait de bonnes études à Stanislas, qu’il a préparé Polytechnique mais que sa santé délicate l’a empêché d’y entrer.
Le capitaine se demande où ce M. Guynemer veut en venir. Il a autre chose à faire que d’écouter des confidences sur les études secondaires d’un fils souffreteux. Tout se résume en peu de mots : ce fils veut se battre. Au premier jour de la guerre il a déclaré à son père : je m’engage. Le père a répondu : je t’envie. Ils étaient comme ça, les grands bourgeois de 14. Ce dialogue s’est échangé à Biarritz où les médecins avaient expédié la famille Guynemer pour le bien du petit Georges, affirmant que l’air du pays basque était propre à redonner la santé à ceux qui n’en avaient pas.
En regardant Georges Guynemer, le capitaine Bernard-Thierry ne peut s’empêcher de penser que ces médecins étaient des ânes. La santé, il est sûr que ce gosse n’en aura jamais. C’est d’ailleurs ce qu’ont estimé les majors du centre de recrutement de Bayonne. On a pesé Georges : un peu plus de 40 kilos pour 1,70 m. On a tâté ses muscles : inexistants. Comment marcherait-il quarante kilomètres par jour ? Comment porterait-il le sac et le fusil ? Ajourné pour faiblesse de constitution.
M. Guynemer parle toujours : son fils a pris cela comme une insulte. Il ne s’en est pas remis. Une lourde erreur du service de santé, assure le père avec force. Le petit est beaucoup plus robuste qu’il n’y paraît. Il est de première force au fleuret comme à l’épée et bon joueur de tennis. Depuis son plus jeune âge, il rêve d’aviation. Il a même reçu le baptême de l’air. Il ne quitte pas la plage de Biarritz d’où s’envolent tant d’aviateurs. C’est l’un d’eux, d’ailleurs, qui lui a conseillé d’aller à Pau pour y rencontrer le capitaine Bernard-Thierry.
L’officier enveloppe dans le même regard ce père loquace et ce fils muet. Quand M. Guynemer lui demande d’accorder à son fils l’honneur de s’engager en qualité d’élève
Weitere Kostenlose Bücher