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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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l’emmenai trois ou quatre jours de suite et exécutai avec lui plusieurs atterrissages classiques, moteur calé ou au ralenti, lui expliquant avec calme tous les secrets des bons atterrissages. »
    Après ces « leçons particulières », tout ira beaucoup mieux pour Guynemer. En l’air, on le sent parfaitement dans son élément. Il s’amuse, quand il y a vol groupé, à parier avec ses camarades que c’est lui qui montera le plus haut. Il gagne toujours : il vole 50 mètres plus haut que les autres. Il est si léger !
     
    Nouveau progrès : de l’École de Pau, on le transfère au camp d’Avord où il doit parfaire son instruction. Il va bientôt passer son brevet de pilote et écrit à sa grand-mère Louisa : « Décidément, j’avais la vocation. Les remous, dont le quart de la moitié me donne le mal de mer lorsque je suis un passager, ne me font absolument rien quand je suis pilote. » Comme ses camarades, il vole d’Avord à Étampes, puis hasarde Avord-Romorentin-Châteauroux-Avord. Néanmoins la nervosité demeure. Il continue à casser tant de « bois » que le capitaine commandant l’école d’Avord appelle au téléphone Bernard-Thierry pour lui signifier qu’il ne veut plus de l’élève Guynemer. Au bout du fil, sursaut de Bernard-Thierry quand il entend son collègue lui annoncer qu’il va renvoyer Guynemer à son arme. D’où cet extraordinaire dialogue :
    — Quelle est-elle cette arme ? L’infanterie ?
    — Non, ce n’est pas l’infanterie.
    — La cavalerie ?
    — Ce n’est pas non plus la cavalerie.
    La voix étonnée du capitaine d’Avord :
    — Alors l’artillerie ?
    — Non, ce n’est pas l’artillerie.
    Et cet aveu sans exemple dans l’histoire de l’armée française :
    —  Il n’a pas d’arme .
    Le mieux est de se faire un allié du collègue d’Avord. Bernard-Thierry lui confie la moitié de la vérité – et c’est déjà beaucoup. Il le met en présence de l’amère réalité : si l’on renvoie Guynemer, c’est lui, Bernard-Thierry, qui sera compromis. Il faut, il faut absolument que le garçon obtienne son brevet.
    — Et s’il se tue ? rétorque le capitaine d’Avord.
    Il est probable que le capitaine de Pau n’a pas osé répondre : « Ce sera la destinée. » Tout aussi probable qu’il l’a pensé  (14) .
    En tout cas, le capitaine d’Avord a compris. Le casseur de bois est breveté en vitesse et, plus rapidement encore, expédié au front. Très exactement à Vauriennes, dans l’Aisne, près de Villers-Cotterêts. Pas bien loin non plus de Compiègne où habite maintenant sa famille depuis un coup d’éclat de Paul Guynemer. Excédé des grandeurs du château familial du Thuit aussi bien que de celles du château de Garcelles, propriété de la famille de sa femme, il a préféré se faire construire à Compiègne, en lisière de la forêt, une belle et solide demeure qu’il ne partagera avec personne sinon avec Julie, sa chère moitié. Depuis que la ville a été dégagée, tous les Guynemer y sont réunis : Paul, Julie, leurs deux filles Odette et Yvonne. Tous ils vivent dans l’attente des nouvelles de l’héritier idolâtré : Georges. Incroyable message : Georges est pilote ! Il est tout près !
     
    Donc il vole. Il écrit aux siens : « Hier à 5 heures, j’ai virevolté au-dessus de la maison, à 1 800 mètres ou 2 000 mètres. M’avez-vous vu ? J’ai poussé mon moteur pendant cinq minutes pour que vous m’entendiez…» Un autre jour il aura le bonheur de voir la famille tout entière jaillir de la maison et agiter follement les mains en signe qu’ils l’ont reconnu – et qu’ils l’aiment.
    Naturellement ; c’est vers les lignes qu’il vole, apercevant sous l’appareil le paysage lunaire des tranchées et l’affreux no man’s land labouré par les obus des deux camps. « On se demande, écrit-il, comment il peut y avoir là un homme vivant…»
    Le 14 juin, il vole jusqu’à Laon. Le 15, les Allemands lui tirent dessus. C’est, à coups d’obus, le baptême du feu de Guynemer. Son commentaire : « Aucune impression si ce n’est de curiosité satisfaite. » Le 16, il emmène comme observateur un officier et un éclat d’obus déchire son aile droite. Le 17, c’est marqué par huit impacts d’artillerie qu’il rentre. Il affirme avoir essayé mille coups : « On n’entendait qu’un roulement, et partout ça éclatait, dessous, dessus, devant, derrière,

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