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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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pilote, il répond par une fin de non-recevoir : ce n’est pas à lui de désigner les élèves pilotes. Ceux-ci sont obligatoirement choisis par le ministère de la Guerre parmi les hommes de troupe qui ont achevé leurs classes. Que ce jeune homme fasse ses classes et l’on verra. Pour la première fois, le père abandonne sa superbe. Tristement, il confie que son fils s’est présenté dans cinq ou six bureaux de recrutement et que partout il a été refusé.
    Rien à faire, conclut le capitaine Bernard-Thierry. Il se lève pour signifier à ses visiteurs que l’entretien est terminé : « Or, ayant accompagné ces messieurs jusqu’à la porte de l’école, je m’aperçus que Georges Guynemer pleurait. » Touché, le capitaine. Il faut dire que, le 22 novembre 1914, on a vraiment besoin de toutes les énergies. Certes Joffre vient de gagner la bataille de la Marne mais le haut commandement n’en réclame que davantage de recrues. Des hommes, des hommes et encore des hommes ! Et soudain, devant Bernard-Thierry, un adolescent pleure parce qu’on ne veut pas de lui pour se battre.
    Le capitaine a regagné son bureau, il s’est plongé dans ses papiers et puis, brusquement, il s’est levé pour appeler son planton :
    — Saute sur ton vélo, va me chercher les deux messieurs qui sortent d’ici. Ramène-les moi !
    L’ennui, c’est que le père du gosse est venu avec son automobile et son chauffeur. Le planton les a quand même rattrapés. Les voici de retour dans le bureau. Du coup, il ne pleure plus, le garçon. Il observe le capitaine avec une attention extrême. On dirait qu’il le transperce du regard. Un quart d’heure plus tôt, Bernard-Thierry ne voyait en lui qu’une mauviette. Maintenant, il ressent l’impression d’être confronté à de l’énergie à l’état pur. Il s’étonnerait moins s’il savait qu’un jour, à Stanislas, le même garçon, qualifié de plus petit de la classe, a giflé un professeur !
    — Avez-vous des notions de mécanique ? demande le capitaine.
    Le père répond : c’est bien simple, son fils sait tout faire. Tant de détermination achève de convaincre Bernard-Thierry. Il propose d’engager le garçon, pour la durée de la guerre, « au titre du service auxiliaire comme élève mécanicien d’avion ». Ensuite ? À chaque jour suffit sa peine ! Le bureau de recrutement n’a le droit de recruter que des spécialistes ? Pendant qu’il y est, le capitaine signe, à l’intention de cet invraisemblable « client », un certificat d’aptitude professionnelle. Plus tard, il jurera que ce fut là le seul faux de sa vie. Nous le croyons sur parole. Comme Georges Guynemer n’a pas vingt ans, son père a signé de son côté pour son fils une autorisation d’engagement.
    À mesure que progresse l’escalade, Bernard-Thierry sent le trouble s’accroître en lui. Encore faut-il que tout cela ait au moins l’air vrai ! Le capitaine conseille donc au petit, avant de se présenter au bureau de recrutement, d’aller s’acheter une salopette de mécano, ce qu’on appelle un bleu. Après avoir jeté un coup d’œil sur les mains du jeune homme, si blanches, si fines, il lui a suggéré de se les salir un peu.
    Voilà comment Georges Guynemer, l’après-midi du même jour, 22 novembre 1914 à 17 heures, entre comme élève mécanicien dans l’aviation française. Il s’en faut d’un mois qu’il n’ait vingt ans.
     
    Il se voulait pilote. Il est ouvrier et ravi de l’être. On le tutoie, on le bouscule, on le rudoie : il éclate de bonheur. Lui qui n’avait jamais faim mange comme quatre les fayots de la gamelle. Il nettoie les avions, les lave, les astique, balaie les hangars. À sa grand-mère Louisa, il écrit : « Je suis soldat. J’espère aller dans les deux mois au feu. » À ses yeux, cela seul compte. Il suit les cours de l’École des mécaniciens. Il sait bientôt poser les joints de culasse, changer les bougies, réparer les appareils cassés.
    Promotion logique après tant d’efforts : on le nomme mécanicien de piste. Bernard-Thierry croit lui faire plaisir en lui apprenant la nouvelle. Au lieu de s’extasier, son protégé se rembrunit. Le capitaine s’étonne. Guynemer éclate : c’est élève pilote qu’il veut être !
    Bernard-Thierry, patiemment, lui rappelle que, pour être élève pilote, il faut appartenir au service armé. À-t-il oublié que c’est par l’effet d’un tour de passe-passe qu’il

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