C'était le XXe siècle T.1
« allonger ou raccourcir la branche du trépied ». Il a dû tenir compte du poids de la mitrailleuse Lewis et aussi de la prise au vent.
Sur l’aérodrome, personne. Guynemer met le contact. L’hélice tourne. Guerder saute derrière lui. On décolle pour foncer vers le nord. Quatre jours plus tard, Guynemer écrira à Constantin, l’un de ses anciens camarades de Stanislas : « Rencontré un zoiseau nommé Aviatikus infectus. Arrivé dessous j’ai ouvert le feu à 3 400 mais cet animal froussard autant que carnassier a piqué illico dans ses lignes…»
Bien sûr l’artillerie allemande l’a pris pour cible : « Canonné, d’ailleurs, oui, Monsieur, à 3 700, par une estimable batterie qui m’a jusqu’ici envoyé à domicile dix éclats d’obus en quatre séances…» Ce n’est pas là l’important. Il découvre en dessous de lui, volant tranquillement vers le sud, un autre avion allemand, un Aviatik biplace de reconnaissance. Il ne ressent pas la moindre hésitation : la proie tant attendue, tant espérée, est enfin à sa portée.
Il le laisse passer, l’Aviatik, « sournoisement », écrira-t-il. Et puis, il fait demi-tour, s’engage dans un piqué plein gaz. L’autre, étourdi par le bruit de son propre moteur, n’a rien entendu, rien vu. À cinquante mètres de l’Allemand, Guynemer fait un signe à Guerder qui, aussitôt, lâche sa rafale, puis une seconde, puis une troisième, puis une quatrième. Il faut changer de chargeur, ce qui n’est pas facile. Guynemer a vu quelque chose tomber de l’Aviatik. Quoi ? il n’en sait rien. Le principal est que l’autre ait été atteint. Il réplique, le Boche ! C’est son observateur qui tire… à la carabine ! Une balle effleure la main de Guerder. Une autre traverse son casque. Cramponné à sa Lewis, il lâche une rafale dès que l’Aviatik est en bonne posture. À la 115 e cartouche, le pilote ennemi est atteint : « J’ai eu l’émotion bien douce, dira Guynemer, de le voir s’effondrer dans le fond du fuselage. L’observateur boche a levé les bras au ciel dans un geste de désespoir et l’Aviatik a piqué du nez et s’est enfoncé dans la brume, en flammes. Il est tombé entre les tranchées. »
L’émotion bien douce . Un peu gênante, la formule. À quelques mètres de lui, Guynemer vient de voir périr un homme. Un autre a manifesté devant lui son « désespoir » en comprenant qu’il allait mourir. On pourrait espérer au moins de la compassion pour ces adversaires qui n’ont pas plus que lui manqué de courage. D’autres l’ont éprouvée, manifestée. Ne nous leurrons pas : ce n’est pas le genre de Guynemer. Jules Roy, qui l’a compris mieux que personne et admirablement expliqué, l’a exprimé sans inutile circonlocution : Guynemer est un tueur . Chaque fois qu’il abattra un appareil ennemi, il criera sa joie. Souvent il atterrira pour voir de près ses victimes et, devant les cadavres, sourira cruellement. Ses lettres à sa famille contiennent des phrases qui nous glacent tant elles sont impitoyables.
Un tueur ? Si l’on veut désigner un guerrier sans complexe, il faut admettre le mot. Après tout, une guerre est faite pour être gagnée. L’alternative se pose le plus simplement du monde : il faut tuer pour n’être pas tué. La survie est la condition de la victoire. Et Guynemer ressent la rage de la victoire.
Ce combat de dix minutes a eu des spectateurs : les artilleurs français dont les batteries sont installées à la Carrière-l’Evêque, à cinq kilomètres de Soissons. Dès qu’ils ont vu les deux avions aux prises, ils ont surgi de leurs trous et, souffle coupé, ont attendu la fin. Quels cris quand l’Aviatik s’est abattu dans les lignes allemandes ! Quelle course quand Guynemer atterrit près de là dans un champ de betteraves ! On les entoure, Guerder et lui, des officiers les emmènent de force au poste de commandement où un colonel les reçoit.
Guerder, le plus vieux, a été introduit le premier. Le colonel l’interroge sur la manœuvre.
— Ça, c’est l’affaire du pilote, répond Guerder.
Précisément, Guynemer entre à son tour.
— Qu’est-ce que celui-ci ? demande le colonel.
— Mais le pilote.
— Vous ? Quel âge avez-vous donc ?
— Vingt ans.
— Et le tireur ?
— Vingt-deux.
Le colonel hoche la tête, abasourdi. Il lance :
— Allons ! il n’y a encore que les enfants pour faire la guerre.
Du coup, il offre le
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