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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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à droite, à gauche, car nous descendions prendre des photographies à un endroit qu’ils voulaient nous empêcher de voir. On entendait siffler les éclats, il y a en a un qui, d’après les trous de l’aile, a passé dans le champ de l’hélice sans la toucher ; un autre est entré par le même trou, mais sans ressortir, je vais vous l’envoyer ; de plus, il y en a un dans le gouvernail et un dans le fuselage…»
    Prenons-en conscience : la guerre aérienne n’a pas commencé. Allemands et Français ne se provoquent pas. On en reste toujours à l’observation. Quand on se croise, il arrive même qu’on se salue. Tout cela n’est pas du goût de Guynemer. Il n’est pas seul à vouloir en découdre.
     
    Brocard qui s’est fait descendre – et qui s’en est tiré – n’en dort plus : il a juré de rendre coup pour coup. Le 3 juillet, il atterrit, saute à terre et, fou de joie, hurle à l’adresse de l’escadrille :
    — J’en ai eu un !
    Pour abattre l’adversaire, Brocard a empoigné sa carabine Winchester et a tiré huit cartouches. Le Boche n’était pas encore à quia. Brocard s’est avancé vers l’avion ennemi jusqu’à le toucher et il a achevé sa « tâche » avec son pistolet Mauser. L’escadrille tout entière rêve de réitérer un tel exploit. Guynemer le premier.
    Chaque jour, il fonce sur l’objectif à photographier en refusant de tenir compte des obstacles et du danger. « Pendant tout le travail, note le lieutenant Colcomb – l’un de ses observateurs –, il est resté sur l’objectif comme à l’exercice. Lorsque tout a été fini et que je lui ai dit : "Nous pouvons rentrer", il m’a demandé : "Mon lieutenant, faites-moi le plaisir de photographier pour moi les éclats qui tombent autour de nous." »
    Tant de témérité inquiète ses aînés. Le 6 juillet, le lieutenant de Beauchamp, estimant que quelques lignes frapperont davantage le néophyte qu’un flot de paroles vite oubliées, lui écrit : « Soyez prudent. Regardez ce qui se passe autour de vous avant d’agir. Chaque matin, invoquez saint Benoît mais, surtout, inscrivez en lettres de feu dans votre mémoire : en aviation, tout ce qui est inutile est à éviter . » Pour Marcel Jullian, pilote lui-même, un tel axiome contenait « la vérité aéronautique absolue ». En l’air, qu’il y ait ou non présence de l’adversaire, « la sécurité est affaire d’esthétique. La fioriture, l’excès, la redondance, regrettables à l’œil, font courir les plus graves périls et la mortelle perte de vitesse peut sanctionner un virage imparfait  (15) . »
    D’autres, autour de Guynemer, parlent de ses « folles imprudences ». Devant Jacques Mortane, il a voulu se justifier de cette accusation : « Il n’y avait là, de ma part, aucun désir d’épater la galerie, mais j’agissais selon le raisonnement qui me semble plein de justesse : l’apprentissage n’a-t-il pas en vue de faire de véritables pilotes ? Or s’ils ne connaissent pas tous les secrets du vol, tous les mystères de l’aviation, ils seront de mauvais aviateurs et ne pourront pas rendre les services que le commandement attend d’eux. »
    Pour le moment, c’est Védrines qui l’entraîne et l’oblige à voler derrière lui. Comme il veut, quand il veut, où il veut. Un ordre : « Fais exactement ce que je fais. » À cette école, Guynemer apprend beaucoup : « Le quatorzième jour, se souviendra Védrines, il vient me demander s’il peut partir seul en croisière. J’accepte. »
     
    Le 19 juillet 1915, un lundi, peu avant 5 heures du matin, Charles Guerder, un observateur de vingt-deux ans, dort à poings fermés quand il se sent secoué comme un sac de vieilles pommes. Il a du mal à ouvrir les yeux. Il reconnaît Guynemer penché vers lui et qui lui crie :
    — Debout, lève-toi, viens comme tu es !
    Guerder se dresse en titubant, va se débarbouiller dans la minuscule cuvette qui renferme toute l’hygiène de l’escadrille. La voix impatiente de Guynemer claque :
    — Prends ton cuir, vite, filons !
    Cinq minutes plus tard, l’avion est tiré de son hangar. Hélas ce n’est pas encore un Nieuport, comme celui de Brocard, mais un Morane, beaucoup moins souple. À l’arrière, Guerder a bricolé la mitrailleuse exigée par Guynemer. Il a vissé sur la carlingue un support « planté sur un cercle mobile » grâce auquel il peut tirer vers le haut ou vers le bas,

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