C'était le XXe siècle T.1
la riposte est là, elle aussi, comme l’éclair. Un instant, il entre dans mon champ de tir, je pousse le bouton sur le manche à balai, ma mitrailleuse est enrayée. De la main gauche, je continue à tirer le manche et de la droite j’essaie de désenrayer. Peine perdue. La mitrailleuse reste bloquée… Le voilà maintenant juste au-dessus de moi, la tête en bas. J’ai lâché un moment le manche et je martèle ma mitrailleuse à deux poings. Guynemer m’a vu. Il sait que la proie est à sa merci. De nouveau il vient raser ma tête. C’est alors que se produit une chose inouïe : il étend le bras et me fait signe, un tout petit signe de la main, puis il plonge et disparaît (16) … »
Épargner un adversaire ? Un de ces Boches tant haïs ? Voilà qui ne ressemble guère à Guynemer. Pourtant il l’a fait. Peut-être parce que cet ennemi était seul, parce qu’il s’était bien battu, aussi bien que lui. Parce qu’il l’a senti son égal. Il ne s’est pas trompé : Udet finira la guerre auréolé de soixante-deux victoires, second des as allemands derrière Richthofen.
Un pur esprit, Guynemer ? S’il faut en croire ses premiers biographes, oui. Sa gloire grandit de mois en mois, sa photographie s’étale dans les magazines avec des légendes époustouflantes, ses exploits ont déjà pris figure de légende – et aucun jupon ne se profile à l’horizon. Guynemer serait-il mort puceau ?
Heureusement, Jules Roy est passé par là. Il nous a rassurés. Il y a eu des femmes dans la courte vie de Guynemer : une charmante Mme de Cornois, à Vauriennes, une Marie-Louise à Breuil-le-Sec. Mais l’aventure de sa vie, la vraie, c’est à Paris qu’il l’a vécue.
En ce temps-là, la capitale tout entière vibre pour les aviateurs. Dès qu’ils apparaissent dans leur uniforme si reconnaissable, on s’empresse, on leur fait fête, on les acclame. Les caissières des cinémas refusent leur argent. Montmartre leur appartient et le Café de la Paix, et le Fouquet’s, et Maxim’s. Pour eux le meilleur champagne, lés plus longs cigares – les plus jolies filles. Elles sont bien rares, celles qui ont eu le courage de leur résister.
Ce soir-là, en compagnie d’un copain, Guynemer est allé au théâtre. Au Gymnase où se joue une pièce d’Albert Willemetz : Tout avance . Une chance, parce que justement de bien jolies filles évoluent sur la scène. Quand, pour la dernière fois, on baisse le rideau, les aviateurs décident de ne pas en rester là, se glissent dans les coulisses, font passer leurs cartes de visite aux deux comédiennes qu’ils ont repérées. Celle qu’a choisie Guynemer est blonde, avec des yeux immenses, un petit nez retroussé de l’effet le plus coquin et une voix aux modulations exquises. Elle s’appelle Yvonne Printemps1.
Quand l’ouvreuse lui passe la carte de Guynemer, Yvonne sursaute : Sous-lieutenant Georges Guynemer . Il était donc dans la salle ! Il est venu l’applaudir ! Il veut la voir ! Elle le fait entrer à l’instant et, toute bête pour une fois, ne sait que dire. Un regard à vous faire rentrer sous terre ou à vous expédier au ciel. Et comme il fait jeune ! C’est tout simple, il paraît son âge : vingt-deux ans. Celui d’Yvonne. Quarante-quatre ans à eux deux. Elle le trouve beau. Et tranquille, et heureux. Et simple comme un enfant sage.
Il faut qu’elle se secoue, Yvonne, pour s’exclamer avec cette gouaille parisienne qui accroît d’autant son charme :
— Dites donc avec tout ça, où est-ce qu’on va ?
C’est chez Maxim’s qu’on est allé. Plus tard elle s’est demandé de quoi ils avaient bien pu parler ce soir-là. Impossible de s’en souvenir. Deux ou trois fois, elle l’a fait rire. Mais qu’est-ce qu’il l’attendrissait, ce petit Guynemer ! Comme elle se sentait bien avec lui ! Quand il a réclamé l’addition, le maître d’hôtel est accouru :
— Il n’y a pas d’addition pour vous, mon lieutenant !
Guynemer a grommelé quelque chose qui devait ressembler à un merci. Il s’est levé brusquement, a entraîné Yvonne. Au matin, le lit où ils se sont retrouvés était devenu un champ de bataille.
Quand ils se séparent, Yvonne n’est même pas sûre de le revoir. Et puis, quelques jours plus tard :
— Allô… Je suis à Paris. Je peux te voir ce soir ?
Étrange liaison. Sur l’uniforme de Guynemer, elle découvre toujours un galon de plus : sous-lieutenant
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