C'était le XXe siècle T.1
rompt. Une sourde protestation s’élève de cette masse compacte. Puis des cris, des imprécations. Le mépris qui se mêle à la moquerie. Qu’est-ce qu’ils se croient, ces gens-là ? De quel droit s’arrogent-ils le privilège de proclamer une prétendue indépendance ? Une femme hurle :
— Ces salauds-là sont payés par les Allemands !
Un homme, furieux, lui répond :
— Au lieu de parader en uniforme et de faire les imbéciles, ils feraient mieux de se battre en France, comme mon fils.
— En Belgique, comme le mien ! s’emporte un autre.
C’est ainsi que commence la révolution irlandaise de 1916. Au milieu de l’hostilité des Irlandais.
La plus ancienne épopée irlandaise raconte les combats du héros Cû Chulainn contre les Ullates – c’est-à-dire les habitants de l’actuel Ulster. Ainsi les rivalités entre Irlandais apparaissent antérieures à la christianisation du pays par saint Patrick, au V e siècle.
C’est à un roi irlandais que l’Irlande doit son assujettissement à l’Angleterre. Chassé de son trône par ses sujets, au XI e siècle, le roi du Leinster, Dermot MacMurrough, a demandé à Henry II Plantagenêt son aide. Henri l’accorde si bien, cet appui, qu’il va se faire reconnaître comme maître suprême de l’Irlande. Il n’est encore que le suzerain des chefs de clan locaux qui lui rendent hommage, mais restent libres. En 1494, Henry VII étend à l’Irlande la législation anglaise. Quand Henry VIII se sépare de Rome et devient chef de l’Église d’Angleterre, il fait promulguer en Irlande l’acte de suprématie. En 1541, il se proclame roi d’Irlande. Alors commence une longue époque de domination et de persécutions. Les Irlandais, profondément catholiques, refusent la religion anglicane. On a beau supprimer la messe, arrêter les prêtres, s’emparer des terres des irréductibles, les Irlandais ne plient pas. Peu à peu, toutes les « bonnes terres » sont affectées à des seigneurs anglais et protestants. Les Irlandais, pour subsister, se voient forcés de se mettre à leur service. La plupart sont réduits à un quasi servage. Intraitables, ils demeurent catholiques. Sous le règne de la grande Elisabeth, les persécutions religieuses atteignent un degré jamais connu. Cette fois, la résistance s’organise. De grands féodaux irlandais se soulèvent. Ils font appel à Philippe II d’Espagne. Ils échouent. La reine donne carte blanche à un chef militaire dont elle connaît l’« énergie » : Mountjoy. Sous ses ordres, l’armée anglaise met l’Irlande en coupe réglée, anéantit les troupeaux et détruit les récoltes. On obtient le résultat que l’on avait scientifiquement recherché : la famine.
On en revient à l’antique solution : multiplier les colons anglais en Irlande, et notamment en Ulster. Cette implantation s’amplifie à tel point qu’en 1641 on assiste à une nouvelle révolte. Les Irlandais incendient les châteaux des colons anglais, mettent à mort les propriétaires. Plus de dix mille passent de vie à trépas. C’est Cromwell lui-même, après la révolution anglaise, qui commandera l’expédition punitive. Tous les Irlandais qui tentent de résister sont mis à mort, les officiers fusillés ou pendus, les soldats envoyés comme esclaves aux Barbades. Les prêtres et les moines catholiques sont assommés à coups de gourdin. En un seul jour, on égorge trois cents femmes rassemblées autour d’une croix « papiste ». Il faut à Cromwell neuf mois pour mener à bien la reconquête de l’île. Une fois de plus, on expulse les propriétaires irlandais pour les remplacer par des colons anglais.
L’Irlande servira de champ clos à la rivalité entre Guillaume d’Orange et Jacques II Stuart. Pour leur malheur, les Irlandais catholiques prendront parti pour ce dernier – qui sera vaincu. Les orangistes entendront bien infliger une sévère punition à ces éternels insurgés. En 1704, les Irlandais catholiques sont privés de droits civiques, exclus de l’administration, de l’armée, du barreau, de la médecine. Il leur est interdit d’acheter des terres. Point d’école pour leurs enfants. Les prêtres doivent prêter serment de fidélité, sinon ils sont bannis ou pendus. On impose de telles taxes aux exportations irlandaises vers l’Angleterre qu’une grande partie du commerce s’arrête. Une fois de plus, les Irlandais sont réduits à la famine.
L’Irlande
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