C'était le XXe siècle T.1
Beaurieux. Si vous voulez, on va vous y accompagner. En tout cas, aidez-nous à récupérer vos camarades.
Moulia monte dans le camion de la gendarmerie. Çà et là, on trouve des soldats isolés. Visiblement, leur exaltation tombée, ils ne savent plus que faire d’eux-mêmes. La veille, on jurait de marcher sur Paris, de forcer le gouvernement à demander la paix. Aujourd’hui…
Du camion, Moulia les hèle. Trois le rejoignent, docilement. Au bout d’un moment, le troisième, qui n’a pas encore recouvré ses esprits, tire un coup de fusil à travers la toile du camion.
On arrive à Beaurieux, à l’état-major. C’est le capitaine Lasserre qui réceptionne ces hommes.
— On en ramène trois, dit le capitaine de gendarmerie. Voici le caporal Moulia qui a fait son devoir.
Au bord du canal de l’Aisne, un champ a été entouré de barbelés. Tout à côté, se trouve un camp de prisonniers allemands.
Bourru, mais amical, le capitaine Lasserre.
— Ah ! vous voilà, Moulia. Puisque vous êtes là, prenez votre toile de tente et suivez ces trois-là.
On les conduit dans le champ entouré de barbelés. Ils montent les tentes. Le lendemain, Moulia s’aperçoit qu’ils sont quarante-deux, récupérés ici et là. Des prisonniers allemands, curieux, se sont approchés des barbelés. Ils demandent ce qui est arrivé, ce qui se passe encore.
— Merde ! répond Moulia.
Une nuit, encore. Moulia commence à trouver le temps long. Qu’est-ce qu’il fait là, lui, Moulia, qui n’a pas participé à la mutinerie ? Comme le champ est gardé par des Sénégalais, il ne peut guère douter qu’il est prisonnier. Pourquoi lui ?
Au matin du deuxième jour, quand paraît le sergent-major Hau, Moulia croit que tout va s’expliquer. Non, car voici le général Paquette avec l’état-major au grand complet. Pas content du tout, le général. Il s’approche de Moulia.
— Caporal Moulia, je vous ai cité, il n’y a pas six jours. Vous avez souillé votre drapeau. Vous avez déshonoré votre patrie. Je vous plains.
Ahuri, Moulia. Naturellement, on ne lui donne pas l’occasion de s’expliquer. L’état-major est déjà parti. La nuit suivante, des gendarmes viendront chercher les prisonniers qui sont enfermés dans une maison de Craonne, jusqu’au moment où, le 7 juin, l’on ramènera douze d’entre eux à Maizy. Ils sont retenus pour comparaître devant le Conseil de guerre. Parmi eux, Vincent Moulia.
Pour succéder à Nivelle, définitivement disqualifié, le gouvernement, le 15 mai 1917, a désigné le général Pétain. Pour le nouveau commandant en chef, une double tâche : rétablir la situation militaire et mettre fin à la crise du moral. Pétain juge que « le mal est profond » mais qu’« il n’est cependant pas sans remède ».
— J’espère en triompher en quelques semaines. Mais il faut des exemples dans les régiments qui se sont mutinés et renoncer au droit de grâce pour les condamnations à la peine capitale dans tous les cas de désobéissance collective et d’abandon de poste concerté.
C’est sur ces bases que va commencer la répression. Il faut qu’elle soit sévère pour être limitée. Parallèlement, le général Pétain améliorera le rythme des permissions, la rotation des régiments en ligne, le confort des cantonnements à l’arrière, l’ordinaire, etc.
Donc, à Maizy comme ailleurs, l’état-major sait qu’il doit sévir. Là commence la difficulté. Pratiquement, tout le régiment s’est mutiné. On ne peut pas traduire un régiment tout entier devant un Conseil de guerre. Douze feront un bon compte. Reste à savoir comment on les choisira. Quelqu’un trouve : il n’y a qu’à rechercher, dans le livret matricule des hommes, ceux qui ont le plus de jours de prison.
On dresse la liste. Le dernier nom est celui du caporal Crouau. Tout le monde est d’accord : il faut un caporal. Malheureusement, Crouau prouve qu’il n’était pas là au moment de la mutinerie. On raye le nom de Crouau et on le remplace par celui de Moulia. Un autre caporal.
Décidément, la télévision se révèle un excellent moyen d’écrire l’histoire contemporaine. Quand j’ai consacré une émission à Moulia, Jean-Marie Crouau était encore vivant. Il a entendu mon émission. Il m’a aussitôt adressé son témoignage. Il croyait Moulia mort et Moulia pensait que Crouau n’était plus de ce monde. Les deux vieux combattants, par mon
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