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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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près confortables. J’imaginais qu’ils pouvaient dormir tout leur soûl, changer de vêtements, se laver. Comme j’avais tort !
    — Pensez donc ! m’a dit Mme Duchainay, quand ils avaient droit à une grange, ils étaient bien contents. Souvent, ils n’avaient même pas de paille. Rien n’était prévu. Se chauffer ? Pas question. Impossible de faire sécher leurs vêtements. Pour se laver, il n’y avait que la rivière. Et, à Maizy, la nourriture ne parvenait pas tous les jours.
    Le bataillon, en y arrivant, a maugréé. Les officiers ont assuré qu’on ne resterait là que quelques jours, avant de gagner un vrai cantonnement. Surtout, on a parlé de permissions. On a même dit : 25 % de permissions. Pas mal, 25 %. Un peu plus tard, on a su que le pourcentage tombait à 13 et même à 9 %. L’amertume a grandi. Pas de doute : l’insuffisance des permissions a été pour beaucoup dans les mutineries.
    Le 27 mai, on a feté la Pentecôte au café du village. Dans la journée, le bruit a commencé à courir que le 162 e R.I. refusait de marcher et que le 18 e R.I. allait monter en ligne à sa place. Dans ces sortes d’affaires, les choses vont vite. Voilà les hommes dans la rue, furieux, criant que ça ne se passerait pas comme ça, qu’ils ne remonteraient pas en ligne. « La pagaille », raconte Moulia. Tout à coup, un soldat se met à chanter l’Internationale . Les autres reprennent le chant, commencent à défiler dans la rue centrale du village. Moulia se souvenait très bien que des civils marchaient avec les militaires. Et des femmes, aussi.
    Bientôt, c’est tout le village qui est en état d’insurrection. Aux issues de la localité, les mutins mettent des mitrailleuses en batterie. D’autres vont crever les pneus des camions prévus pour les conduire au front.
     
    Et Vincent Moulia ? Que fait-il ? Que dit-il ? Que pense-t-il ? Tout cela ne lui plaît pas. Lui, blessé deux fois, nommé caporal pour avoir sauvé son capitaine, décoré de la croix de guerre pour avoir capturé huit officiers allemands, deux fois cité pendant la bataille de Craonne, il continue à penser que la discipline fait la force principale des armées. Remonter en ligne, il n’en a pas plus envie que ses copains. Depuis trois ans, il a souffert autant qu’eux. Il n’est pas du genre belliciste à tout crin. Quand même, on nous l’a imposée, cette guerre. On ne va tout de même pas laisser le kaiser aller parader à Paris. Alors, non, Vincent Moulia n’est pas d’accord. Il n’a pas défilé. Il n’a pas participé à la révolte. Au moment où la mutinerie a éclaté, chargé d’une distribution de vivres de réserve, il se trouvait au cantonnement des officiers.
    Alarmé par l’agitation qui se propageait, un officier a demandé :
    — Qui est-ce qui va garder les affaires ?
    Moulia s’est avancé.
    — Moi.
    C’est pour cette raison qu’il est resté au cantonnement. Quand une délégation s’est présentée pour parlementer avec les officiers, ceux-ci ont refusé de la recevoir et se sont barricadés dans leur maison.
    Là-dessus, survient le capitaine Lasserre. Il se trouve nez à nez avec Moulia.
    — Comment, c’est vous, Moulia ?
    — Oui, mon capitaine.
    — Ah ! vous en faites du propre, vous et les vôtres !
    — Mais, mon capitaine, je n’ai pas participé à la mutinerie. Je suis resté seul ici.
    Rassuré, le capitaine.
    — Dites donc, Moulia, tâchez de trouver mon ordonnance.
    Voilà Moulia dans les rues, cherchant l’ordonnance. Il le trouve. Fin soûl :
    — Où qu’il est ce capitaine, que je le crève ?
    — Pas de ça, dit Moulia scandalisé.
    Il retourne au cantonnement, annonce au capitaine qu’il a trouvé l’ordonnance, se garde bien de rapporter les menaces proférées, se borne à constater :
    — Dans l’état où il est, on ne peut rien en faire, mon capitaine.
    La nuit enveloppe Maizy. Les émotions, ça fatigue. Moulia se couche, s’endort, se lève alors que l’aube point. Dehors, il trouve un tas de gendarmes. On lui fait signe d’approcher :
    — Qu’est-il arrivé ?
    Il raconte. Il est seul à pouvoir raconter, puisque les officiers sont partis.
    — Alors, vous êtes tout seul, ici ? demande le capitaine de gendarmerie.
    — Vous pouvez constater : les vivres et les munitions sont intacts.
    — Voulez-vous marcher avec nous ?
    — Je voudrais rejoindre ma section, mon capitaine.
    — L’état-major est à

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