C'était le XXe siècle T.2
ne pouvons pas faire l’affaire avec Hitler, nous la ferons sans lui.
Lütze insiste sur la dernière phrase de Roehm :
— Hitler est un traître. Il faut qu’on lui fasse prendre des vacances.
Logiquement, la colère de Hitler devrait se lever – terrible – contre Roehm. Il ne dit rien. Il ne fait rien.
Comme dans toutes les tragédies, les personnages de l’action sont face à face. La fatalité ? De toute évidence, on la sent planer. Qui donnera l’élan initial à l’action ?
Il semble bien que la Reichswehr ait joué ce rôle et fait basculer Hitler. Au cas où le vieux maréchal viendrait à disparaître – et son grand âge autorise à envisager l’éventualité –, qui serait président du Reich ? Aucun problème pour Hitler : il se voit à la fois président et chancelier du Reich. Il ne peut cependant oublier que le président du Reich est aussi le chef suprême de l’armée. Pas de président sans l’accord de l’armée. Alors ?
Les événements se précipitent : la santé de Hindenburg décline. Il faut faire vite. Le 10 avril 1934, Hitler s’embarque à Wilhelmshaven sur le croiseur Deutschland . Il neige. On met le cap vers le nord pour naviguer le long de la côte norvégienne. À bord, il y a l’amiral Raeder, les généraux von Blomberg et von Fritsch. Blomberg, ministre de la Guerre, tient l’armée en main, Fritsch est chef de la Heeresleitung , section de perfectionnement de l’armée. Ce qui est en question, c’est une alliance entre l’armée et Hitler.
Quand, le 14 avril, le Deutschland rejoint Wilhelmshaven, le pacte est passé. L’armée donnera son appui au Führer pour la succession de Hindenburg, mais Hitler mettra à la raison Roehm et ses SA.
Ce que souhaite Hitler, c’est que les SA comprennent d’eux-mêmes qu’il faut rentrer dans le rang. Ce qu’il veut, c’est que Roehm se soumette.
Au mois de mai, Hindenburg part pour Neudeck, sa résidence de Prusse-Orientale. Franz von Papen vient le saluer. Papen, qui incarne l’opinion libérale, peut se dire le représentant des catholiques et des conservateurs. Avec beaucoup d’autres, il se montre très hostile aux SA. Une carte pour Hitler ? Pas nécessairement, car Papen ne cache pas son inquiétude devant le paganisme proclamé par le national-socialisme. Décidément, rien n’est simple. Qu’a dit exactement Papen à Hindenburg ? Hitler n’en sait rien mais il ne peut mésestimer par ailleurs l’influence de l’ancien chancelier, le général von Schleicher, et celle du Dr Klausener, animateur des mouvements catholiques. Eux aussi manifestent des réserves grandissantes quant à l’évolution du régime.
Difficile, le jeu de Hitler qui doit se préoccuper de ces contradictions, voire de ces antagonismes. Or, une nouvelle force va entrer en scène : les SS. Beaucoup moins nombreux que les SA, ses membres portent l’uniforme noir à tête de mort, ils sont triés sur le volet. Leur chef, Heinrich Himmler, est assisté par Heydrich, chef du SD ( Sicherheitsdienst , service de sécurité) de la Gestapo. N’entre pas qui veut aux SS, groupe d’élite. « La SA, c’est la troupe, dit Himmler, la SS, c’est la garde. Il y a toujours eu une garde, depuis les Perses jusqu’à Napoléon. La garde de la Nouvelle Allemagne, c’est la SS. »
Les SS se veulent les gardiens de la pureté de la race. Ce qu’ils attendent, en fait, c’est le pouvoir absolu. Pour l’emporter, ils sont prêts à jouer contre les SA. Ils mettront tout en balance : leur vie s’il le faut. Ils savent que si les SA disparaissent, tout sera permis aux SS.
Au début de mai, les SS commencent à surveiller de près Franz von Papen et ses collaborateurs. Avec une infinie patience, une exemplaire efficacité, ils rassemblent en même temps des informations sur les méfaits commis par les SA, leurs orgies – et les paroles imprudentes prononcées par certains responsables, à commencer par Roehm.
Ces rapports sont mis sous les yeux de Hitler. C’est ainsi qu’il apprend que certains conservateurs seraient prêts à s’allier avec les SA contre lui. Ils n’hésiteraient pas à demander l’appui de la France : Schleicher a rencontré André François-Poncet, l’ambassadeur de France, lequel a aussi dîné avec Roehm. Rien de tout cela n’est faux mais Schleicher s’est borné à dire au Français son aversion pour Roehm. À François-Poncet, le chef SA n’a fait que parler de ses
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