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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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quelqu’un à Marseille. L’affaire commence à Paris à la gare du Bois de Boulogne.
    On s’est ravisé. Ce qui a permis à la Fox de diffuser l’un des reportages les plus extraordinaires de l’histoire du cinéma. J’ai interrogé Georges Méjat pour l’émission que j’ai consacrée à l’affaire  (32) . Sa mémoire était intacte. Il se souvenait que son frère Raymond – avec qui il travaillait souvent en équipe – était parti en mer pour filmer l’arrivée de la vedette royale. Du haut de son praticable, Méjat avait assisté à une conversation animée entre le contrôleur général Sisteron et un officier qui s’inquiétait de la faiblesse du service d’ordre. Sisteron l’avait « envoyé paître ». Tout autour, des élus marseillais manifestaient leur mécontentement.
     
    La vedette royale se range à quai. Le roi Alexandre, flanqué de son ministre des Affaires étrangères Jevitch, saute à terre. Le suit François Piétri, cependant que s’avancent vers le roi Louis Barthou, l’amiral Berthelot et le général Georges chargé d’accompagner Alexandre pendant son séjour. Le roi accomplit la moitié du chemin. La poignée de main que les deux hommes échangent est longue, chaleureuse. Curieusement, ils portent l’un et l’autre les mêmes lorgnons. De concert, ils s’avancent vers la voiture, cette Delage dont la vétusté et le marchepied – les voitures plus récentes n’en comportaient plus – avaient frappé le colonel Piollet. Suivant les instructions, on a baissé la capote arrière. Le roi marque un temps d’arrêt. Il se penche vers son ministre Jevitch :
    — Cette voiture est trop ouverte. Ceux qui le voudraient auraient la partie belle pour me tuer.
    Tant la foule applaudit frénétiquement, nul, sauf Jevitch, n’entend cette réflexion.
    Alexandre monte dans la voiture, suivi de Louis Barthou qui prend place à sa gauche. Le général Georges s’installe sur un strapontin. Chacun s’attend à ce que la Delage démarre aussitôt. Elle va demeurer immobile pendant dix minutes ! Pourquoi ? Récit du colonel Piollet  : « Je remarquai le regard circulaire du roi, inquiet et préoccupé. Une nuée de photographes entoura la voiture, prenant des vues à bout portant. Je fis cette réflexion : s’il y avait un assassin parmi eux, on ne pourrait le distinguer. Ensuite je fus affolé par le peu de service d’ordre, un agent à peine tous les dix mètres pour contenir la foule, pas de motos autour de la voiture royale, sans aucune protection à part nos deux montures. »
    Méjat, avec son camarade Robert Batton – que les anciens de la télévision ont bien connu –, s’est approché de la voiture. L’un et l’autre veulent prendre un gros plan d’Alexandre mais le roi regarde de l’autre côté. Les cameramen l’appellent :
    — Majesté ! Majesté !
    Alexandre se tourne enfin. Méjat et Batton découvrent dans le viseur de leurs caméras son expression préoccupée. Quand le film passera en Amérique, ce regard inquiet frappera tellement les dirigeants de la Fox qu’ils feront doubler la séquence  (33) .
    Récit de Piollet  : « À ce moment, le temps s’assombrit d’une façon anormale, le vent s’éleva, le vrombissement des avions et le bruit des salves d’artillerie donnaient à cette arrivée une atmosphère impressionnante qui semblait annoncer le drame. »
    La voiture s’ébranle enfin. En tête du cortège, roule la voiture où ont pris place Berthouin et Sisteron. S’avance ensuite un peloton de dix-huit gardes à cheval en grande tenue, immédiatement suivi de la voiture royale. Comme prévu, chevauchent à droite de la voiture le colonel Piollet, à gauche le commandant Vigouroux. Piollet ne quitte pas du regard les gardes républicains à cheval qui le précèdent. Le peloton remonte lentement, beaucoup trop lentement, la Canebière mais pourquoi s’inquiéter ? Jamais on n’a vu autant de monde sur la célèbre avenue. L’enthousiasme déferle. À ces acclamations, dira Piollet, « le roi répondait en souriant mais toujours visiblement inquiet ».
     
    Le cortège s’avance avec une telle lenteur que Georges Méjat, sa vieille caméra portable à la main, peut courir et le dépasser. Il aperçoit des collègues, comme Forestier et Desmond. Aussi un grand nombre de photographes. Tous s’étonnent de n’apercevoir que si peu d’agents de police. Un photographe, Geoffroy, remarque que le roi « scrute les

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