C'était le XXe siècle T.2
annoncé :
— Nous viendrons ce soir pour dîner. Nous aurons très faim.
Depuis quelque temps, Krajli se sent mal à l’aise. Dans quelle galère s’est-il embarqué ? Pourquoi le sort est-il tombé sur lui ? Dans le car qui les emporte à Marseille, son angoisse grandit encore. Il se cache derrière un journal. Vlada – comme toujours – est impassible.
Ce matin-là, 9 octobre 1934, Louis Barthou est allé se promener dans cette ville qu’il aime. Après s’être rendu à un déjeuner officiel à la préfecture – comment y échapper ? –, il s’est préparé à accueillir le roi.
Le Dubrovnik est en vue de Marseille. Alexandre achève de revêtir sa tenue d’amiral. Son valet de chambre insiste pour qu’il porte ce qu’il appelle sa « cotte de mailles », un gilet d’acier très fin propre à résister à toutes les balles. Alexandre refuse :
— Non. Nous sommes en France. Nous n’avons que des amis. Et puis, ça me gêne.
Lentement, le bateau glisse vers le port. Une vedette vient se ranger près de l’échelle de coupée, celle du consul général de Yougoslavie à Marseille. En montant à bord, il semble hors de lui. On le conduit au roi. Il s’exclame :
— Sire, ne descendez pas à terre ! Je sais de source certaine qu’un attentat est préparé contre vous !
Alexandre secoue la tête :
— La population m’attend. Barthou m’attend. Un Karageorgevitch ne doit pas reculer.
Vlada et Krajli marchent sur la Canebière. Sur les trottoirs, une foule heureuse grossit de minute en minute. Elle est plus dense encore place de la Bourse. D’un geste, Vlada désigne à Krajli la place qu’il devra occuper, à l’angle de la rue Saint-Ferréol :
— Si j’échoue, fais ton devoir. Si je suis en difficulté, viens vers moi et lance les grenades pour me dégager. Adieu !
Sur ce, Vlada va se placer, lui, à l’angle de la Cane-bière et de la place de la Bourse. Dans ses poches, il tâte les deux revolvers qui s’y trouvent.
Devant Marseille, le Dubrovnik a stoppé. François Piétri est monté à bord, a présenté à Alexandre les compliments du gouvernement. Ensemble, le roi et le ministre sont descendus dans la vedette royale qui s’avance maintenant sans hâte vers le quai. Des bateaux de pêche et de tourisme amarrés tout autour s’élèvent des cris multipliés de Vive le roi ! On saura plus tard qu’il s’agit de maîtres et de quartiers-maîtres de la Marine en civil opportunément conduits là.
Sur le quai des Belges, Louis Barthou, barbiche au vent, attend. Le colonel Piollet se tient près de la jument qu’il doit monter. Je reprends son récit inédit : « Une fois arrivé au quai des Belges, je fus très étonné par le désordre qui y régnait. Un détachement du régiment d’Aix-en-Provence qui devait rendre les honneurs fut plusieurs fois déplacé, tantôt mis en carré, tantôt étalé d’un seul côté, puis de deux. Près de l’embarcadère, le ministre des Affaires étrangères, Louis Barthou, le chef de la Sûreté nationale Berthouin, le contrôleur général Sisteron, le chef de la Sûreté à Marseille Cals, etc., étaient là allant et venant tout en discutant. L’anxiété se lisait sur leurs visages.
« La voiture destinée au roi était là ; une vieille Delage usagée à marchepied, décapotée, avec les ailes un peu cabossées, deux places et en face des strapontins. Je la connaissais bien car je l’utilisais pour les tournées de conseil de révision lorsque je remplaçais le général. On aurait tout de même pu trouver une voiture plus présentable, semble-t-il !
« Le commandant des gardes, Vigouroux, était là. Comme je savais qu’il avait assisté à la réunion de la préfecture, je l’abordai pour lui demander de me communiquer les ordres reçus. Il m’expliqua que nous devions former l’escorte d’honneur de la voiture royale, je devais me tenir à droite, lui à gauche, nous devions maintenir nos chevaux de manière que leurs têtes restent à la hauteur de la capote afin de ne pas gêner les regards du roi sur la foule. Je montai alors en selle et pris la place indiquée. »
Sur un praticable, entouré de plantes vertes, le cameraman Georges Méjat, des Actualités Fox Movietone, s’est installé : un professionnel averti, un vieux de la vieille. À la Fox, on avait hésité à l’envoyer à Marseille. Le rédacteur en chef avait dit :
— C’est pas la peine d’expédier
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