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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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chancelle. On l’emporte dans une voiture particulière.
    Le ministre Jevitch a sauté dans la Delage. Il dégrafe l’uniforme du roi, découvre la poitrine ensanglantée, tente d’écouter le cœur qui ne bat presque plus. Il dira avoir entendu de la bouche d’Alexandre :
    — Gardez-moi la Yougoslavie.
     
    Un jeune journaliste, René Barotte, représentant un quotidien alors fort peu lu, Paris-Soir , a obtenu du locataire d’un appartement situé sur la Canebière l’autorisation de s’installer à son balcon pour mieux voir passer le cortège. Ce locataire dispose du téléphone, chose alors peu fréquente. Or c’est exactement sous le balcon où se trouve Barotte que Vlada vient de tirer sur Alexandre ! La réaction du journaliste est immédiate : il court au téléphone, demande Paris, l’obtient en un temps record et, sur-le-champ – en direct – dicte le reportage de l’événement.
    Une heure plus tard, sous l’impulsion d’un génial patron de presse – Jean Prouvost –, le quotidien sortira un numéro spécial tiré à un million d’exemplaires, contenant le récit exclusif de l’assassinat d’Alexandre. Paris-Soir est lancé et va connaître l’un des plus gros tirages de la presse mondiale. Le malheur des uns…
     
    La Delage s’est remise en marche. Elle fonce vers la préfecture. Le médecin-commandant Hérivaux, qui vient de quitter l’hôpital Michel-Lévy, s’est glissé au premier rang des spectateurs amassés sur la place de la préfecture. Il veut voir passer le roi Alexandre. Soudain, de la rue Saint-Ferréol aux trottoirs noirs de monde, une voiture de police arrive en trombe. Le docteur Hérivaux a bien voulu me communiquer ses notes inédites de l’époque :
    « Un occupant de la voiture crie aux agents : “Faites dégager la place !” Personne ne bouge. Il y a dix à quinze agents, pas plus, essaimés. Ils n’insistent pas… Et tout de suite deux voitures, l’une derrière l’autre, arrivent un peu moins vite. La première, de la Sûreté, à cocarde tricolore, puis une voiture découverte noire au fanion royal. Sur le marchepied, de mon côté, un officier serbe en tenue kaki, debout, semble soutenir d’un bras quelqu’un allongé à l’intérieur – qu’on ne voit pas.
    « Les deux voitures s’engouffrent dans la préfecture. On ferme la porte à double battant, aussitôt, derrière elles.
    « Le porche s’ouvre à nouveau. Quelques officiers français (dont un général) sortent, courent çà et là des deux côtés vers la foule devenue bien plus dense : ils réclament un médecin !
    « Mon cœur se serre. J’entre dans la préfecture, monte des marches, guidé par des visages. J’arrive dans le bureau du préfet – plein de monde, de stupeur, de silence.
    « Au fond, sur le canapé, le roi en uniforme de marine, large ruban de la Légion d’honneur comme déchiré en deux transversalement, redingote déboutonnée, comme brûlée de poudre au plastron à gauche, poitrine découverte à demi, visage et mains sanglants, mousse de sang sortant des narines.
    « La peau qu’on voit a pâleur de cadavre. Le corps est chaud. Très large ceinture blanche à même la peau du ventre. Les pieds sont déchaussés. Visage sans binocles.
    « Auprès, un jeune homme inconnu, en veston, et une femme en toilette rose que, sans l’avoir vue, je sais tout de suite être la femme du préfet. Tout cela en un instant. Je prends le pouls radial en auscultant le cœur. Je ne sens, je n’entends rien – rien.
    « En me redressant, je trouve à côté de moi deux confrères – dont j’ignore le nom – avec Mme Jouhannaud. Je leur dis que nous sommes en présence du pire. Pourtant, dans une infime parcelle de doute, on pourrait tenter l’injection d’adrénaline dans le cœur. “Il faut tout tenter”, dit Mme Jouhannaud. Les deux confrères sont d’accord.
    « Rabattu, le pharmacien d’à côté, en une ou deux minutes, à l’initiative de Mme Jouhannaud, apporte le nécessaire  (35) .
    « Aiguille plantée dans le cœur, sans le moindre frémissement durant l’injection. Aucun reflux spontané de sang dans la seringue. Silence du cœur. Je dis alors que le roi est mort. À ce moment, même ceux qui sont en civil, je reconnais tous les Serbes. Je vois dans leurs yeux une désapprobation à la France. J’en suis conscient. Je la partage.
    « Le professeur Olmer était arrivé. Auprès du maréchal de la Cour, il répétait, en

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