C'était le XXe siècle T.2
été soumis par M. Bassé au Quai. Celui-ci, après quelques retouches et après avoir supprimé la dernière phrase que j’avais laissé subsister, attribuant la responsabilité de la destruction aux Allemands, a fait publier la dépêche. »
La preuve est là : si Havas, après avoir largement fait connaître le récit qui attribuait la destruction aux incendies des « rouges », n’a à peu près rien diffusé de la version attribuant l’anéantissement à un bombardement nationaliste, c’est qu’on l’a voulu en haut lieu. Le gouvernement de Léon Blum avait choisi le principe de non-intervention et un diplomate trop zélé aura voulu l’appliquer au-delà de ce qui lui était demandé.
Dans le dossier Havas des Archives nationales figurent également des rapports sur le comportement en Espagne du journaliste Botto. Les auteurs se demandent où Botto trouve les ressources nécessaires à la vie dispendieuse qu’il mène. Une autre correspondance démontre que Botto, en une occasion au moins, s’est engagé délibérément dans une politique de soutien au gouvernement nationaliste et qu’il a tenté de faire diffuser une dépêche dans ce sens. Dépêche que Havas, cette fois, a refusée. Une enquête a été prescrite qui a eu pour résultat le rappel de Botto.
Rien n’arrête un universitaire américain en chasse de vérité : Southworth s’est demandé ce qu’avait pu devenir Botto pendant l’Occupation. Il a été comblé : il travaillait au poste allemand Radio-Paris . En particulier, il a été chargé d’acheter, en 1944, pour une somme rondelette, les voitures destinées à permettre au personnel du poste de fuir en Allemagne. Las ! ces voitures se sont révélées à peu près incapables de rouler. L’éditorialiste de Radio-Paris Jean-Hérold Paquis, rapportant l’épisode, laissera clairement entendre que M. Botto n’y avait rien perdu.
Suivre l’évolution des thèses nationalistes jusqu’à la fin de la guerre civile et au cours des premières années de la Deuxième Guerre mondiale ne manque pas d’intérêt. L’explication officielle ne change pas : ce sont toujours les « rouges » qui ont incendié la ville. En 1943, paraît le huitième volume de la monumentale Historia de la cruzada espa ñ ola , par Joaquin Arraràs. On constate une première évolution : il n’est fait mention ni d’un bombardement par les nationalistes ni d’un incendie par les républicains. Seulement une photo des ruines, avec cette seule légende : « Une vue imposante de la ville détruite. »
En 1949, dans une revue militaire espagnole, le général Martinez Esparza admet, pour la première fois, la réalité d’un bombardement. Selon lui, il y a eu d’abord bombardement, puis incendie volontaire. Il faudra attendre dix-sept ans pour que la censure madrilène, en 1966, laisse publier ce passage traduit d’un texte allemand : « Les bombardements dévastateurs à la bombe de la légion Condor (Sperrle) atteignirent Guernica, Durango et Amorebieta, faisant souffrir cruellement la population civile. » Les Espagnols peuvent donc lire enfin qu’il y a eu bombardement à Guernica.
Que l’on ne croie pas que l’arrière-garde nationaliste ait renoncé à sa thèse. En 1967, Luis Bolin – l’ex-censeur et délégué à la propagande de 1937 – persiste et signe : « Le récit de la totale destruction de Guernica par les bombes nationalistes durant la guerre civile d’Espagne est un mythe. » En 1967 encore, paraît la Cronica de la guerra de Espa ñ a , par Ricardo de La Cierva, histoire officielle de la guerre civile commandée par le régime. On y lit : « Naturellement, personne ne peut nier le bombardement par la légion Condor, bien qu’il soit vrai également qu’il n’ait pas eu le caractère d’un bombardement stratégique, mais simplement celui d’un bombardement tactique. » En 1968, Gil Mugarza publie Espa ñ a en Ilamas avec ce passage : « En réalité, il n’existe aucune preuve que Guernica ait été endommagée après le bombardement du 26 avril. »
Constatons que La Cierva reviendra sur le sujet avec une réelle honnêteté dès qu’il aura connaissance d’un témoignage du célèbre aviateur allemand Galland. Celui-ci avait appartenu à la légion Condor mais ne l’avait rejointe que deux semaines après la tragédie. Ses camarades se montraient là-dessus parfaitement explicites : on avait donné l’ordre aux pilotes
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