C'était le XXe siècle T.2
assuré le commandement de l’Académie militaire de l’Armée rouge, il est promu chef d’état-major de l’armée. En 1931, il est ministre adjoint de la Défense nationale et chef des armements de l’Armée rouge. À peine la dignité de maréchal est-elle rétablie et elle lui est décernée.
La tâche qu’il a accomplie à la tête de l’armée est universellement admirée en Russie et en Occident. M. Benoist-Méchin l’a souligné : « En 1936, l’Armée rouge est devenue une des plus fortes armées du continent. Elle est dotée d’un équipement très moderne, et ses effectifs sont remarquablement aguerris. » Toukhatchevski y est pour beaucoup.
En Allemagne, on le sait.
Dans son salon de l’hôtel Adlon, un athlète revêtu de l’uniforme de général SS se dresse pour accueillir un visiteur. Il a de peu dépassé la trentaine. Il est grand, mince, blond. Dans le visage triangulaire, ce qui domine, c’est le regard bleu d’une incroyable dureté. Curieusement, sa voix est presque féminine, très haut perchée. Un autre détail surprend : les mains trop fines. Son nom ? Reinhard Heydrich.
Il s’agit du second de Himmler, chef tout-puissant de la Gestapo. Nous sommes en décembre 1936. Il y a trois ans que Hitler est au pouvoir. Toutes les oppositions intérieures ont été liquidées. À l’exception de celle de certains militaires de haut grade.
Le visiteur affiche la quarantaine. Il est mince, élégant, avec une petite moustache et des cheveux courts séparés en leur milieu par une raie. Ce Russe est connu à Paris comme l’adjoint du général Miller, président de l’Organisation mondiale des militaires russes en émigration : c’est le général de l’armée blanche Skobline.
Pourquoi cette rencontre ? Parce que l’émigré est, depuis quelques mois, un espion à la solde du SD qui paie richement les renseignements livrés par lui. S’il s’est mis au service de l’Allemagne de Hitler, c’est avant toute chose parce qu’il est anticommuniste. Tous ses efforts tendent à voir chasser de sa chère Russie l’homme qui polarise sa haine : Staline. Son alliance avec les SS s’inscrit selon lui dans ce droit fil.
Reinhard Heydrich accueille toujours Skobline avec intérêt. Que va donc lui vendre cette fois l’émigré ?
Aux premières paroles de Skobline, le chef du SD dresse l’oreille. Jamais il ne se serait attendu à une révélation aussi fantastique. Skobline affirme que le maréchal soviétique Toukhatchevski entretient des relations secrètes avec des membres du Grand État-Major allemand, obsession et hantise de Heydrich. Celui-ci est sûr que des généraux allemands, par mépris de Hitler, sont dangereux mais il n’a jamais pu obtenir de preuves palpables à cet égard. Merveille : Skobline les lui apporte.
Littéralement, Heydrich boit les paroles du Russe qui expose avec une lenteur teintée d’humour les raisons de ce complot contre nature. C’est tout simple : les militaires allemands veulent se débarrasser de Hitler. Toukhatchevski veut se débarrasser de Staline (56) .
Le lendemain de son entretien, Heydrich convoque ses adjoints, leur résume les accusations de Skobline et en tire les conséquences :
— Correctement utilisée, cette information pourrait porter au haut commandement de l’Armée rouge un coup dont il ne se remettrait sans doute pas avant de longues années. En ce qui concerne le Grand État-Major allemand, elle nous aiderait à éliminer des éléments qui, en son sein, demeurent hostiles au national-socialisme.
L’un des adjoints de Heydrich, le capitaine SS Erich Jahnke, se permet d’observer que Skobline n’est pas sûr. Il a de gros besoins. Sa femme, une ex-danseuse étoile de l’Opéra de Petrograd, la superbe Nadeja Vassilievna Plevitskaïa, lui coûte beaucoup d’argent. Et si l’information était téléguidée de Moscou, dans on ne sait quel dessein ? Heydrich se fâche : il a toute confiance en Skobline. D’ailleurs, le renseignement cadre essentiellement avec sa propre perception de la situation européenne. L’intervention intempestive de Jahnke vaudra à celui-ci trois mois d’arrêts de rigueur à son domicile.
Le 24 décembre 1936, Heydrich et son chef Himmler se rendent chez Hitler. Présents à l’entrevue : Rudolf Hess et Martin Bormann. Heydrich expose son plan. Il s’agit de prendre la balle au bond et de fabriquer un dossier prouvant la culpabilité de Toukhatchevski.
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