C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
client et lui sont suivis. Profitant de la nuit, les deux hommes se cachent dans les bosquets des Champs-Élysées… et s’échappent. Le docteur Eugène emmène l’Israélite chez lui, 21, rue Le Sueur. La piste est perdue. Nul ne reverra l’infortuné « mouton ».
Décidément bien informée, la police allemande s’en prend aux rabatteurs. Elle embarque Fourrier et Francinet qui ne semblent pas avoir fait beaucoup de manières pour dénoncer le patron du réseau. Il s’agit du docteur Petiot, 66, rue Caumartin. Les policiers allemands se ruent à l’adresse indiquée où Petiot est littéralement pris au piège. En même temps, on arrête René Nézondet, son ami de Villeneuve-sur-Yonne.
Voilà Petiot rue des Saussaies d’abord, avenue Henri-Martin ensuite. Sans relâche, on l’interroge. Le grand jeu : la baignoire, les dents limées, le crâne comprimé. Il crache le sang. Il parle.
En apparence du moins. Il n’avoue que ce qui lui convient. Les Fritz veulent qu’il soit résistant ? Excellent. Tout plutôt que cette vérité de la rue Le Sueur dont il devra – toujours – rester seul détenteur. Encore faut-il qu’il se comporte à l’instar d’un vrai résistant. Il doit donc soutenir mordicus qu’il ne l’est pas. Il se reconnaît en rapport avec un certain Robert Martinetti. C’est à lui qu’il adresse certaines de ses connaissances qui veulent passer en Amérique. Son rôle se borne à escorter les voyageurs jusqu’à la place de la Concorde où Martinetti les prend en charge. Où trouver ce Martinetti ? Hélas il a disparu. Qu’est devenu le « mouton » qui lui a été envoyé ? Il s’est enfui sans l’informer de sa destination.
Pendant toutes ces semaines, Petiot fait preuve d’un moral d’acier et suscite l’admiration de ses compagnons de prison, des résistants, parmi lesquels plusieurs communistes. Il en sera de même à la prison de Fresnes où Petiot sera transféré et où il passera cinq mois. René Héritier, qui partage sa cellule avant d’être déporté, témoignera : « Je crois que le docteur Petiot est très capable de se sacrifier pour une cause. À noter sa haine indomptable des Allemands : je l’ai vu à l’œuvre. » Aucun doute : Petiot est un patriote, un vrai.
Sa force de persuasion est si grande que Yodkum finit par admettre l’authenticité de son récit. Petiot n’est qu’un comparse sans intérêt. Comme il n’est pas de petits bénéfices, l’Allemand va négocier la libération du médecin contre la remise de 100 000 francs. La somme sera versée par Maurice Petiot, son frère.
Le « docteur Eugène » est libre. À bout de forces, il va se reposer dans l’Yonne. Il y retrouve son fils. Avec ; bonheur.
Au début de 1944, la Seine charrie des débris humains. Certes, il en existe toujours dans un fleuve de cette importance mais les responsables de la navigation fluviale affirment que la moyenne est largement dépassée. Ce sont des têtes affreusement défigurées, la peau du visage arrachée. Des torses découpés, des membres tronqués. Un détail attire l’attention du docteur Paul, fameux médecin légiste : les cuisses, quand on en recueille, portent toutes le même genre d’entailles. Le docteur Paul reconnaît une habitude bien connue des praticiens qui se livrent à la dissection. Entre deux opérations, ils plantent leur scalpel dans la cuisse. Conclusion du docteur Paul : ces cadavres ont été découpés par un médecin.
Nous sommes à l’époque où Petiot circule chaque jour à bicyclette. À celle-ci est toujours attachée une remorque. Un gardien de la paix en faction devant la résidence de Fernand de Brinon, ambassadeur de France en zone occupée, voit à plusieurs reprises passer, dans la contre-allée, « un cycliste traînant une remorque qui circulait en direction de la porte Dauphine ». L’homme l’impressionne fortement : « Il était vêtu d’un treillis verdâtre et mon attention avait été attirée par sa chevelure noire abondante et l’éclat de ses yeux. » Lorsque la presse a popularisé les traits de Petiot, il l’a reconnu sans hésiter (118) .
Le personnage est si caractéristique que d’autres le reconnaîtront également pour l’avoir vu passer souvent dans le quartier d’Auteuil. Un témoin le voit longer la Seine à l’heure exacte où un paquet bien ficelé tombe sur le pont d’une péniche. Épouvanté, le marinier qui l’ouvrira découvrira des
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