C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
adresse des rappels aux oublieux.
Il ne faut que quelques mois pour que Petiot acquière une véritable aisance. Tout autre s’en contenterait mais un homme comme lui ne change pas. Le 4 avril 1936, à la librairie Gibert, il glisse dans sa poche un livre de médecine d’une valeur de 25 francs. Un vendeur le prend sur le fait et le directeur appelle la police. Traduit devant le tribunal correctionnel, quelle défense va-t-il invoquer ? Il plaide l’irresponsabilité ! N’a-t-il pas été réformé pour troubles mentaux, interné plusieurs fois dans des asiles psychiatriques ? Tout étonné de voir un médecin dûment installé s’affirmer en état de démence, le juge commet un expert. Éclatant en sanglots, Petiot confie à son confrère qu’il se sent dangereux pour lui-même et pour autrui. Il supplie qu’on l’interne d’office dans un asile d’aliénés. Ce à quoi consent naturellement le psychiatre ébahi.
Conduit à la Maison de santé d’Ivry, Petiot y reste sept mois. Après quoi, les médecins traitants constatent que les troubles mentaux ont disparu et que le malade peut être remis en liberté. Au prix d’une captivité sans trop de rigueur, Petiot a échappé à une condamnation en correctionnelle.
Avec un bonheur que l’on veut croire sincère, il a retrouvé les siens. Ses clients ont vu avec satisfaction reparaître un médecin aussi dévoué, voire désintéressé : comme à Villeneuve, il néglige de réclamer des honoraires à ses patients les plus pauvres. Ce qui ne l’empêche pas de gagner de plus en plus d’argent. Il achète des immeubles à Paris, à Auxerre, à Villeneuve-sur-Yonne, à Courson-les-Carrières où habite l’un de ses amis, un certain Neuhausen.
La guerre, l’armistice, l’Occupation. Si les Petiot n’ont pas quitté Paris, le fils a été envoyé à Auxerre chez son oncle Maurice Petiot. On l’a inscrit au lycée de la ville. En mai 1941, c’est au nom de ce fils que Petiot, pour 495 000 francs, achète à Paris, près de l’Étoile, au 21, rue Le Sueur, un hôtel particulier.
Fils d’un essayiste, auteur avec Léautaud de Poètes d’aujourd’hui – anthologie remarquable et remarquée –, Jean-Pierre Van Bever, inadapté social, est peu à peu devenu une épave. En 1942, livreur de charbon, il vit avec une prostituée, Jeanne Gaul. Le 17 février 1942, la police l’arrête pour usage de stupéfiants. Deux jours plus tard, on incarcère également Jeanne Gaul qui reconnaît se faire « soigner » par plusieurs médecins, parmi lesquels le docteur Marcel Petiot. Elle précise que ce dernier lui a délivré cinq ordonnances de complaisance, et deux autres au nom de Jean-Pierre Van Bever.
Homérique, la confrontation de Petiot avec Van Bever. Au mépris de toute vraisemblance, Van Bever nie être un toxicomane. Petiot, non moins formel, l’accuse de l’être ! Il explique que les ordonnances délivrées ne sont nullement de complaisance mais entrent dans le cadre d’une cure de désintoxication entreprise sous sa propre responsabilité. Van Bever, qui sait risquer une lourde condamnation, persiste à nier. Le ton monte. Petiot prend des airs outragés. Ayant acquis la conviction que, dans cette affaire, tout le monde ment, la police renvoie les trois personnages devant le tribunal. Mis en liberté provisoire, Van Bever se répand en imprécations contre le docteur Petiot :
— Je lui réglerai son compte au tribunal !
Un matin, avant de se rendre à son travail, il prend un verre avec un ami – un certain Papini – qui le voit tout à coup abordé par un inconnu. Il le suit d’un air contrarié – c’est ce que notera Papini. Un peu plus tard, il reparaît pour expliquer qu’il ne pourra travailler ce jour-là car il doit rejoindre l’homme qui est venu le relancer. Il donne rendez-vous à son ami pour la fin de l’après-midi.
Le soir venu, Papini l’attendra en vain. L’avocat de Jeanne Gaul recevra deux lettres de Van Bever : l’une destinée à son propre avocat, l’autre adressée à la prostituée : « Tu peux dire que je suis vraiment un intoxiqué… Moi, je pars très loin…» Cette dernière lettre sera soumise à un expert qui conclura qu’elle a peut-être été écrite par Van Bever, mais que celui-ci a dû agir « sous l’empire d’une contrainte morale grave ».
Le certain est que le malheureux ne se présentera pas devant la XX e Chambre. Il ne pourra donc accabler le docteur
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