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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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noires.
     
    À quelques centaines de kilomètres de là, sur le chemin de Tinian, le major Claude Eatherly capte lui aussi ce signal.
    À 9 h 15 mn 17 s, les portes de la soute de l’ Enola Gay s’ouvrent. Little Boy bascule dans le vide. Ferebee ne peut se retenir de crier :
    — C’est parti !
    Ted Van Kirk note dans son journal : « Bombe larguée. » Lewis amorce la manœuvre prévue. Il vire de 155 degrés et pique, perdant en un instant plus de 300 m. La bombe explosera dans 45 secondes. À tout prix il faut s’éloigner pour n’être pas pris dans la déflagration.
    Soudain, malgré les lunettes noires Polaroid, l’équipage tout entier est aveuglé. Bob Lewis croit être atteint de cécité. La bombe vient d’éclater. Elle a déchaîné une température de 100 millions de degrés. Déjà, un nuage qui ressemble à un champignon commence à s’élever. La ville ressemble, dira Caron, à « un lit de braises ». Impossible de compter les incendies. Hiroshima est devenu un immense brasier.
    Bob Lewis serre les poings et murmure :
    — Mon Dieu, qu’avons-nous fait ?
    Cette phrase est celle qui figure au journal de bord.
     
    Hiroshima n’est plus. Les premiers, ceux qui se trouvaient directement en dessous de la projection sur le sol de l’explosion, ont été désintégrés. Plus de trace de choses ni de gens. On ne retrouvera d’eux que quelques silhouettes humaines en forme d’ombres. Si l’on s’éloigne du « point zéro », ce sont des cadavres calcinés que l’on découvre. Les hommes, les femmes, les enfants se sont embrasés, d’un seul coup. Plus loin encore – bien plus loin – certains survivent. Atrocement brûlés, mais vivants. Une escouade de militaires s’avance en titubant. Au creux des arcades sourcilières, il n’y a plus que des trous : leurs yeux ont brûlé. À 16 kilomètres de là, la chaleur de l’explosion s’est encore fait sentir.
    Comment ne pas penser aux anges de l’Apocalypse ? Aux sept anges et à leurs sept trompettes. Ce fut d’abord l’éclatante lumière. Ensuite, l’effroyable chaleur qui brûla tout. Puis la rafale qui détruisit tout. Ensuite la pluie radioactive dont certains moururent lentement durant vingt ans. Enfin le vent qui aviva l’incendie, frappa les murs encore debout, souleva les rivières et les fleuves.
    « Aujourd’hui, allait écrire François Mauriac, le monde sait que la matière peut périr le jour où un homme, un seul peut-être, en aura décidé ainsi dans son cœur. »
    100 000 morts, 40 000 blessés. Officiellement.
    Sans doute beaucoup plus.
     
    Quand le major Claude Eatherly a su ce qui était arrivé à Hiroshima, il s’est tu. Pendant plusieurs jours, il a refusé d’adresser la parole à quiconque. Pourtant il n’a pas largué la bombe. Mais il a conseillé à l’ Enola Gay de la larguer. Cette idée-là, il ne peut la supporter.
    Les esprits cartésiens diront qu’une telle attitude n’est pas raisonnable. En temps de guerre, l’exécutant, logiquement, n’est responsable de rien. Un simple soldat ne fait qu’obéir à son capitaine, lequel obéit à son général, lequel obéit au commandant en chef, lequel obéit au ministre de la Guerre, lequel obéit au chef du gouvernement. Le responsable, en l’occurrence, c’est Harry Truman, président des États-Unis.
    Quand ont paru les Mémoires du président, j’ai avant tout cherché le passage où l’auteur décrirait l’angoisse ressentie au moment où il avait décidé d’utiliser la bombe. Ayant traversé une telle crise de conscience, il ne pouvait que l’évoquer en des pages nécessairement bouleversantes. Je n’ai trouvé que quelques paragraphes très secs, totalement dénués d’émotion. Truman se devait d’ordonner que l’on utilisât la bombe. Il l’avait fait. Il le disait. Rien de plus.
    Plus tard, interrogé par des journalistes qui lui demandèrent à brûle-pourpoint quel était l’événement de sa vie qu’il regrettait le plus, Truman répondit sans hésiter :
    — Je regrette de ne pas m’être marié plus tôt.
    Apparemment, il n’avait pas pensé à la bombe.
     
    À quoi rimaient donc les remords de Claude Eatherly ? Peut-être était-il doté d’une imagination plus riche que celle de Harry Truman. Peut-être aussi voyait-il plus loin que le président des États-Unis.
    D’abord, le major Eatherly lutte contre la dépression qui l’accable. Il se reprend, vole de nouveau. Il se

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