C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
qu’ils donnèrent à toute l’affaire – y compris la visite de la presse occidentale à Katyn. »
Les vingt journalistes ne pourront assister qu’à une seule séance de la Commission d’enquête. Ils se souviendront toujours du professeur Burdenko, coiffé d’un képi vert des gardes-frontières et disséquant avec allégresse quelques cadavres. Ils le verront brandir un morceau de foie « puant et verdâtre » à la pointe de son scalpel et s’écrier joyeusement :
— Regardez comme ça a l’air sain et frais !
Ils assistent ensuite à un spectacle que la plupart d’entre eux jugeront insoutenable. On pousse devant eux des hommes et des femmes dont il est évident qu’ils n’en mènent pas large. On annonce sans ménagement que personne n’aura droit, avant d’y être autorisé, d’interroger ces témoins. Un certain professeur Bazilevsky, astronome et ex-maire adjoint de Smolensk au temps des Allemands, rapporte les propos du maire de l’époque desquels il résulte que « les officiers polonais allaient être liquidés ». Une jeune fille jure que, pendant l’occupation allemande, elle a vu des camions chargés de prisonniers s’enfoncer « très souvent » dans la forêt. Un cheminot explique que, lors de l’avance allemande en juillet 1941, il s’est révélé impossible d’évacuer les Polonais incarcérés dans les camps situés autour de Smolensk : « Les chemins de fer étaient complètement désorganisés et l’Armée rouge en pleine retraite. »
Un nommé Kisselev – « manifestement terrorisé » – avoue qu’il a été contraint par les Allemands à témoigner devant leur propre commission d’enquête et qu’il a menti :
— Je vous demande de me croire quand je vous dis que ma conscience me torturait, car je savais qu’en réalité les officiers polonais avaient été fusillés par les Allemands en 1941. Mais je n’avais pas le choix, car j’étais constamment menacé de torture.
Tout cela paraît si insolite, si peu crédible que les correspondants de guerre grillent d’interroger les membres de la Commission. On les y autorise enfin. Plus embarrassantes les unes que les autres, les questions pleuvent (19) . Aussitôt, « l’atmosphère devint assez pénible et l’on annonça qu’il fallait quitter les lieux, le train devant ramener le groupe de visiteurs étant sur le point de partir ». On se sépare sans cordialité exagérée. Selon Alexander Werth, l’ensemble de la procédure avait « un air préfabriqué ».
Nous le croyons sans peine.
Les conclusions de la Commission d’enquête soviétique seront longues et détaillées (20) . Chaque élément s’appuie sur le ou les témoignages d’une ou plusieurs personnes parfaitement identifiées.
Quand on relit ce texte aujourd’hui, l’esprit s’effare. Car nous savons que tout cela est faux . Il n’est pas un épisode, pas un argument, pas un détail qui n’ait été forgé de toutes pièces. La remise par Boris Eltsine, en 1992, du dossier Katyn au gouvernement de Lech Walesa ne laisse plus aucune place au doute.
C’est sur l’ordre de Staline que les officiers polonais ont été assassinés.
Souvenons-nous des trois mois de silence sur Katyn ; qui, en 1944, ont tant étonné les journalistes occidentaux. Ils ont été nécessaires pour forger la fable qui deviendra la version officielle soviétique et surtout pour lui donner une apparente cohésion. Assurément, l’équipe expérimentée que l’on a réunie et mise au travail n’a pas dû chômer. On peut s’interroger quant à la récompense qui n’a pas manqué d’être décernée à l’auteur de l’idée de base. À-t-il été promu, décoré ? Car, de cette idée, tout a découlé. À l’origine, il a suffi de supposer l’existence, à l’ouest de Smolensk, de trois camps imaginaires : camp n° 1 ON, camp n° 2 ON et camp n° 3 ON. Une fois ceux-ci nés sur le papier, il était logique – sur le papier – de les peupler d’officiers polonais. Logique encore de décider que ceux qui y avaient été transférés venaient des camps de Kozielsk, Starobielsk et Ostachkov. Rien de plus facile, ensuite, que d’en venir au but de l’opération : ces prisonniers étaient naturellement demeurés là jusqu’à l’été 1941, époque de l’arrivée de l’armée allemande. Les Allemands, trouvant sur place des Polonais haïs, les avaient tous exécutés d’une balle dans la
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