C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
allemandes : le docteur Hajek, de Prague, et le docteur Markov, de Sofia. Ils soutiendront une telle position lorsque leurs pays seront entrés dans l’orbite communiste et, de ce fait, dans un monde où nul n’aura le droit de s’écarter de la ligne fixée par l’Union soviétique. Du haut de sa nationalité helvétique, le docteur Naville a toujours déclaré, pour sa part, que sa signature avait été donnée librement. En 1947, il spécifiait encore : « Je n’ai observé aucune trace de pression envers moi ou mes co-experts. Nous avons constamment discuté entre nous en toute liberté et hors de la présence des Allemands. » Et encore : « Nous avons dicté librement les protocoles d’autopsie sans aucune intervention des médecins allemands. »
Un problème singulier a intrigué les experts et, au-delà, les autorités nazies. Les balles tirées dans tant de nuques ont été retrouvées, en grand nombre, dans les charniers. On en a cherché l’origine : toutes les cartouches recueillies sur place étaient de calibre 7,65 mm et portaient la marque Geco, série D. Il s’agissait de la firme allemande Genschow. Voilà qui n’a pas manqué de troubler les esprits. Il suffit de lire le journal de Goebbels daté du 8 mai 1943 : « Malheureusement, des munitions allemandes ont été trouvées dans les tombes de Katyn. Cela doit être des munitions vendues par nous aux Soviétiques pendant le temps de notre amitié avec eux… ou bien ce sont les Soviétiques qui, tout simplement, les ont jetées dans les tombes. L’essentiel c’est que cela demeure top secret. Si la chose s’ébruitait et parvenait à nos ennemis, toute l’affaire de K atyn s’effondrerait . »
On aura, après la guerre, la preuve que la firme allemande Genschow avait livré à l’URSS et aux États baltes, en grandes quantités, des pistolets automatiques, calibre 7,65 mm, avec les munitions correspondantes.
Le nombre des officiers polonais exhumés à Katyn s’élève à 4 143. On en a identifié 2 815.
En septembre 1943, l’Armée rouge reprend Smolensk aux Allemands. Grande se révèle la surprise des journalistes occidentaux présents à Moscou quand ils constatent, pendant plus de trois mois, que les autorités soviétiques s’enferment dans un silence absolu quant à « l’affaire » de Katyn. Tout change dans la première quinzaine de janvier 1944 : on avise les journalistes qu’ils pourront, le 15 du même mois, se rendre à Katyn et participer aux travaux de la commission d’enquête qui vient d’être désignée.
Un bien curieux voyage. Les journalistes occidentaux – envoyés spéciaux ou correspondants de guerre – forment un groupe relativement nombreux : une vingtaine, tous anglais et américains, notamment Werth de la BBC, Lawrence du New York Times , Duncan Hooper de l’agence Reuter, Davis du Toronto Star . S’y ajoutent un Polonais et un Français, ainsi qu’une Américaine de vingt-cinq ans, Kathleen Harriman, fille de l’ambassadeur des États-Unis à Moscou. Elle est flanquée de John Melby, troisième secrétaire de l’ambassade des États-Unis.
À peine parvenus dans la trop célèbre forêt, les visiteurs sont conduits directement sur les charniers. Après leur avoir montré quelques centaines de cadavres récemment exhumés et tous revêtus de l’uniforme polonais, on leur présente les membres de la Commission d’enquête (18) . Outre des médecins de premier plan, il y a là huit personnalités de haut niveau, parmi lesquels l’académicien Burdenko, l’écrivain Alekseï Tolstoï, le métropolite Nikolas de Moscou, le ministre de l’Éducation Potemkine. Nul doute que leur seule présence ait été destinée à conférer à l’enquête la « respectabilité » à laquelle il est visible que l’on tient énormément.
Dès les premières minutes, il est possible de discerner ce que sera la position des Soviétiques. Il est exclu – absolument exclu – que le massacre puisse être leur œuvre. « Cette seule idée, remarque Alexander Werth, était insultante ; aussi devait-on bannir tout ce qui aurait pu favoriser la mise en cause des Russes. L’essentiel, c’était d’accuser les Allemands. » À aucun moment, les membres de la Commission ne se départissent de cette contenance ombrageuse. « Il faut en tout cas reconnaître, dit encore Werth, que les Russes se montrèrent on ne peut plus maladroits et brutaux dans la publicité
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