C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
gouvernement, il apparaît plus divisé encore. Dans une conjoncture aussi dramatique, seule Sa Majesté Impériale peut conduire ses humbles sujets à la lumière.
Une fois de plus, chacun est appelé à exprimer son opinion. La situation n’a pas évolué d’un pouce. Farouchement, Togo développe les arguments qui militent en faveur de la capitulation. Plus farouchement encore, le général Anami crie que « pour connaître l’issue du combat, il faut commencer par le mener ». Si « par malheur » le Japon doit capituler, il devra sauver l’honneur en exigeant d’impérieuses garanties qu’il énumère derechef, appuyé avec énergie par le général Umezu et l’amiral Toyoda. « Le Japon peut encore rendre des points à l’ennemi », dit Umezu. « Nous pouvons poursuivre la guerre », confirme Toyoda. Ainsi – et il faut encore insister – les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki n’ont nullement modifié les points de vue des chefs de l’Armée et de la Marine .
Vendredi 10 août, 2 heures du matin.
Il y a plus de deux heures que les porte-parole des deux camps, d’une voix vibrante quoique contenue – la présence de l’empereur ! – se lancent à la tête les mêmes arguments.
Péniblement, le Premier ministre se lève.
— Il est de toute évidence que nous ne parviendrons pas à nous mettre d’accord. En raison de ce fait et en raison aussi de l’urgence de la situation, il ne nous reste qu’un seul recours.
Il adresse à l’empereur un regard mouillé et implorant.
— Il appartient à Votre Majesté Impériale de décider quelle proposition doit être adoptée, celle du ministre des Affaires étrangères ou celle qui contient les quatre contre-propositions.
« Un silence total plana sur la petite salle étouffante », souligne le rapport de la Société japonaise de recherches.
En un geste sans précédent dans l’histoire du Japon, le Premier ministre Suzuki vient d’oser solliciter de l’empereur une décision personnelle.
Avec lenteur, comme s’il cherchait ses mots, Hiro-Hito lui répond :
— Je suis d’accord sur le plan proposé par le ministre des Affaires étrangères. J’ai longuement réfléchi à la situation actuelle, tant dans notre pays qu’à l’étranger, et je suis arrivé à la conclusion que poursuivre la guerre ne peut que signifier la destruction de la nation et une prolongation d’effusions de sang et de cruautés dans le monde entier. Ceux qui sont partisans de continuer la guerre m’ont naguère assuré que de nouveaux bataillons et des approvisionnements supplémentaires seraient disponibles en juin à Kujikurihama. Or je m’aperçois maintenant que ce résultat ne pourra pas être atteint avant septembre, si même il l’est à cette époque. Quant à ceux qui souhaitent livrer une dernière bataille ici même, sur notre propre sol, je me permettrai de leur rappeler combien les plans qu’ils avaient dressés diffèrent de ce qui se déroule actuellement. Je ne veux pas supporter davantage de voir mon peuple innocent lutter ainsi. Mettre fin à la guerre est le seul moyen de rétablir la paix dans le monde et de délivrer la nation des terribles épreuves qui l’accablent aujourd’hui.
Le visage de l’empereur apparaît creusé par la fatigue et la douleur. De la même voix sourde, sur le même ton mesuré, il poursuit :
— Je ne peux me défendre d’une immense tristesse quand je pense à tous ceux qui m’ont servi si fidèlement, aux soldats et marins morts ou blessés dans les batailles sur des terres lointaines, aux familles qui ont perdu tous leurs biens, et souvent même la vie, sous les bombardements aériens que nous subissons sur le territoire national. Il va sans dire qu’il m’est intolérable de voir mes braves et loyaux combattants désarmés. II n’est pas moins intolérable que d’autres, qui m’ont servi avec dévouement, soient menacés maintenant de châtiment pour avoir été les instigateurs de la guerre. Et pourtant, l’heure est venue pour nous d’endurer l’intolérable.
Chacun demeure figé à sa place. L’empereur reprend :
— Quand j’évoque les sentiments et les actes de mon impérial grand-père l’empereur Meiji, à l’époque de la Triple Intervention, je ne peux que refouler mes larmes et approuver sans réserve la proposition faite par le ministre des Affaires étrangères, c’est-à-dire accepter la proclamation des Alliés sur les bases
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