C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
sous la direction d’officiers japonais.
D’évidence, ni Anami ni les deux chefs d’état-major ne veulent accepter l’idée , en totale contradiction avec tout ce qu’ils portent en eux-mêmes, d’une défaite ou d’une capitulation.
13 heures.
Suzuki suspend la séance. On apporte deux messages. Le premier lui est destiné : « Une seconde bombe atomique est tombée ce matin à 11 h 02 sur Nagasaki. » Le second est remis au général Umezu : « En Mandchourie, les Russes ont attaqué à l’aube en trois endroits. Les troupes japonaises reculent partout. L’aviation soviétique a bombardé. » Un troisième va suivre : « 1 700 appareils américains écrasent la ville d’Akita sous leurs bombes. »
Trois catastrophes – et combien de morts ! – en moins de deux heures !
14 heures.
Au Conseil, chacun affiche ses positions. Elles n’ont pas changé. L’amiral Yonai répète :
— Nous n’avons aucune chance d’arriver à la victoire !
Le général Anami se dresse, « comme propulsé par un ressort » :
— C’est là l’opinion de la Marine ! L’Armée reste intacte. Elle est capable d’anéantir quiconque oserait mettre le pied sur le territoire japonais. Il est difficile d’augurer de la victoire, mais il est prématuré de parler de défaite !
Le ministre de l’Agriculture constate que la récolte de riz s’annonce comme la plus mauvaise depuis 1931. Le ministre des Transports souligne que, d’ores et déjà, les communications avec la Corée et la Mandchourie sont interrompues. Il est clair que l’un et l’autre ont choisi la paix. En revanche, le ministre de l’Intérieur, Genki Abe, se rallie aux jusqu’au-boutistes :
— Si l’on cherche à négocier une paix diplomatique, je m’estime incapable de maintenir l’ordre ! Je sais par expérience jusqu’où peut aller l’Armée dans certaines occasions.
On vote. Incident cocasse : un ministre déclare qu’il n’a pas d’opinion. Ses collègues s’emportent :
— Il n’est pas possible de ne pas avoir d’opinion !
Le volontaire pour l’abstention votera donc mais contre la paix. On compte onze partisans de la paix contre quatre. Pour que soit prise une décision de cet ordre, il faut recueillir l’unanimité.
Suzuki en vient à la solution dont il dira qu’il la caressait depuis plusieurs jours sans l’avoir avouée : la décision finale se trouve entre les mains de l’empereur.
23 h 50.
Au palais royal, une pièce de six mètres sur dix : l’abri antiaérien de l’empereur. Un plafond en acier des murs en bois brun. Une chaleur étouffante. Autour de deux longues tables parallèles, douze hommes ont pris place. Tous ont revêtu la jaquette, le col à coins cassés, la cravate noire ou l’uniforme à haut col. La sueur trempe les vêtements et ruisselle sur les visages. Les Six Grands sont là, mais aussi quatre ministres et les deux chefs d’état-major général. Autour d’eux, les directeurs des bureaux des Affaires générales de l’Armée et de la Marine, le secrétaire général du cabinet et le directeur du Plan combiné. À la demande expresse de l’empereur, un invité : le baron Hiranuma, président du Conseil privé.
Ils attendent depuis 23 h 30. À minuit moins dix, accompagné d’un aide de camp, l’empereur paraît.
Au moment où, avec infiniment de douceur, Hiro-Hito vient de pousser la porte de son abri personnel, une volonté sans faille soutient son âme. De toutes ses forces, il se sent prêt à aider ceux qui auront choisi la paix.
Les douze hommes se sont levés et inclinés profondément. Le treizième – l’empereur – va s’asseoir au fond de la salle, seul devant une petite table placée perpendiculairement aux deux autres. Derrière lui, un paravent. Son aide de camp s’est installé à sa droite, en retrait.
À pas hésitants, Suzuki s’avance vers le souverain et se tient debout à sa gauche. D’une voix mal assurée, il annonce :
— Je désirerais que le secrétaire du Conseil relût la Déclaration de Potsdam.
On entend de nouveau ces articles que l’on connaît par cœur. Quand le secrétaire se tait, Suzuki prie l’empereur de lui pardonner « d’avoir requis sa présence alors que ses ministres n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord ». Présentement, sur la question de la paix, le Conseil suprême de guerre est partagé en deux camps égaux. Trois contre trois. Quant au
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