C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
ont refusé d’en admettre certaines parties, d’autres en ont répudié la totalité.
Avant d’entraîner le lecteur dans un tel débat, il voudra bien m’autoriser à parler de moi.
En 1983, Antenne 2 a diffusé une émission de ma série L’Histoire en question consacrée à Gerstein (75) . J’avais choisi ce sujet pour une seule raison : depuis longtemps le personnage me fascinait. L’immersion que supposait la préparation d’un tel sujet devait me permettre d’aller au-delà de ce que je croyais savoir.
L’émission était programmée pour le 24 mars 1983. Comme à l’accoutumée, le réalisateur, Jean-Charles Dudrumet, avait mis mon récit en image à l’aide de la documentation fournie par Françoise Renaudot et Janine Knuth. Le montage était achevé, le minutage définitif. Impossible techniquement d’en modifier quoi que ce soit. C’est alors que j’ai reçu un appel téléphonique d’un correspondant se présentant comme M. Henri Roques et qui, ayant découvert dans la presse l’annonce de l’émission, se proposait de me fournir des informations sur Kurt Gerstein. M. Roques m’apprenait que, se trouvant à la retraite, il avait décidé de reprendre des études supérieures et choisi, pour sujet d’une thèse de critique de texte, l’étude des rapports qu’avait rédigés Kurt Gerstein. Il affirmait avoir découvert de nombreux points nouveaux et ajoutait que ceux-ci étaient défavorables au personnage. Pour lui, Kurt Gerstein représentait l’exemple typique d’un mythomane.
J’ai tenu à rencontrer M. Henri Roques. Il m’a apporté un gros dossier qu’il a plus tard complété par des notes rédigées à mon intention. Ainsi a-t-il considérablement enrichi mon information. Je l’en ai remercié.
L’essentiel du travail de M. Roques concerne les différentes « confessions » que Gerstein a rédigées du 26 avril au 6 mai 1945. Plus heureux que Pierre Joffroy qui déclare ne connaître que trois versions dont une seule rédigée directement en français (76) ; plus heureux que Saul Friedländer qui en énumère quatre ; plus heureux que Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet qui en citent cinq, M. Henri Roques en a découvert six. Pour chacune d’entre elles, il s’est attaché à rétablir l’exactitude du texte original, souvent fort malmené jusque-là. J’ai admiré la perfection du véritable travail de chartiste auquel il s’était livré (77) .
Après quoi, il a entrepris de passer au crible d’un esprit critique particulièrement aiguisé chaque page, chaque ligne, chaque mot de ces versions. Le lecteur doit savoir qu’elles se rapportent toutes au même événement : la découverte par Gerstein, à Belzec et Treblinka, de l’extermination des Juifs. Il s’agit de la même histoire racontée à plusieurs reprises. Les deux premières versions sont manuscrites et rédigées en français. Selon M. Roques, l’authenticité matérielle de ces deux textes est indiscutable, de même que la troisième « confession » qui reprend en gros le texte manuscrit des deux précédentes. Il n’en est pas de même pour la quatrième, datée du 6 mai 1945, simple copie d’un interrogatoire par les autorités militaires françaises. On ne peut manquer d’être frappé cependant par la similitude entre le style de ce texte et celui des précédentes versions. Quant aux deux versions rédigées en allemand, M. Roques les considère comme des fabrications de textes.
Impossible ici d’énumérer l’ensemble des critiques auxquelles s’est livré M. Henri Roques. Elles ont représenté l’essentiel de la thèse qu’il a soutenue plus tard (78) . Pour nous contenter de la longue citation que l’on a pu lire plus haut, il est certes regrettable que Gerstein ait écrit que Hitler et Himmler s’étaient rendus à Belzec la veille de sa propre visite : le 15 août 1942, Hitler se trouvait à Winniza, sur le front de l’Est alors en pleine offensive. On doit pourtant se souvenir que le rédacteur se contente de rapporter une affirmation de Globocnik. Est-il exclu que, pour magnifier la mission qui lui avait été confiée, Globocnik en ait « rajouté » ?
Je retiendrai plus volontiers l’énumération d’invraisemblances et de contradictions flagrantes. Gerstein estime à 25 millions le nombre des personnes éliminées dans les camps de Belzec et de Treblinka. L’absurdité de ce chiffre dispense de toute discussion. Dans la version
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