C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
imaginer rien de pareil, le piège qui conduira Jean Moulin à la mort vient de se refermer.
Comment effacerais-je de ma mémoire le souvenir des deux procès retentissants qui furent intentés à Hardy au lendemain de la guerre ? Ses photographies se multipliaient à la première page des journaux. Ses anciens camarades défilaient à la barre des tribunaux, les uns accablant le traître, les autres chantant les louanges du patriote. Les hebdomadaires à sensation traquaient la jolie Lydie Bastien – corps de vamp, immenses yeux noirs pleins de mystère – qui avait partagé sa vie. On a jugé deux fois René Hardy. On l’a acquitté deux fois.
Bien plus tard, nous l’avons vu à la télévision, vieilli, malade, évitant l’objectif de la caméra comme on fuit un regard, cherchant ses mots comme on butte sur des souvenirs, répondant aux questions trop indiscrètes par des foucades argotiques ou des éructations rageuses. Pour beaucoup d’entre nous, l’image de cette déchéance s’est peu à peu superposée à celle du jeune Hardy de 1943.
Cadre de la SNCF – et non ingénieur comme il l’a dit plus tard –, mobilisé en Corse en 39 pour faire face à la menace italienne, il a tenté, après l’armistice, de rallier les officiers de son unité à ce que l’on appelait alors la « dissidence ». On l’a arrêté à Toulon alors qu’il s’apprêtait à s’embarquer clandestinement pour Londres. Quinze mois de prison.
Quand il en sort, en mai 1942, il rencontre Henri Frenay, fort intéressé par les origines professionnelles de Hardy. Un cheminot ? On en fera un saboteur. Dans cette spécialité, Hardy outrepasse les espoirs que son chef mettait en lui. Son audace se révèle sans limites et sa technique redoutable. Sous ses coups, les trains allemands déraillent, le matériel explose, les soldats de la Wehrmacht sautent et meurent. Littéralement, Hardy est le héros de la fameuse bataille du Rail.
Le 6 mai 1943, le Comité directeur des MUR (Mouvements Unis de Résistance) consacre sa valeur exceptionnelle en le détachant « auprès de l’état-major de l’Armée secrète pour exécuter les missions de caractère militaire que le commandement de l’Armée secrète lui donne ».
C’est de ces fonctions que Delestraint veut s’entretenir avec Hardy. Le 29 mai, il le déclare expressément à Henri Aubry, chef d’état-major de l’Armée secrète. Il fixe le jour et l’heure – 9 juin, 9 heures – et le lieu de la rencontre : métro Muette. Il précise que le colonel Gastaldo se trouvera également au rendez-vous.
Un problème quotidien se pose aux résistants : l’acheminement du courrier. Les Allemands écoutent les communications téléphoniques et censurent la correspondance. Aussi a-t-on imaginé le système des « boîtes aux lettres ». On fait appel à des volontaires disposant par exemple, dans l’entrée de leur immeuble, d’une boîte pour le courrier. Appelons B l’un de ces volontaires. Le résistant A qui veut communiquer avec le résistant C vient déposer une lettre dans la boîte aux lettres de B. Quand B relève son propre courrier, il laisse en place cette lettre. Le résistant C viendra la chercher. S’il ne la trouve pas, il réitérera ses visites jusqu’à ce qu’il l’ait reçue. Lui-même pourra, dans la même boîte aux lettres, déposer des messages pour le résistant A. La plupart du temps, ces « boîtes aux lettres » servent à plusieurs correspondants.
À Lyon, au printemps de 1943, les membres du mouvement Combat, auquel adhèrent à la fois Hardy et Aubry, se servent d’une boîte appartenant à une Mme Dumoulin qui habite 14, rue Bouteille.
C’est dans cette boîte que Aubry, le 31 mai, va donc faire déposer par Mme Raisin, sa secrétaire, un message adressé à « Didot » – Hardy –, précisant à celui-ci que « Vidal » – Delestraint – l’attend à Paris le 9 juin, à 9 heures, au métro Muette.
Il convient ici de poser une première question. Le lecteur pensera, comme je l’ai cru d’abord moi-même, qu’un message évoquant un rendez-vous aussi important entre deux hauts personnages de la Résistance devait nécessairement être codé. Le lecteur se trompe. Mme Raisin a rédigé l’avertissement en clair . Certes, il n’est question ni de Delestraint ni de Hardy : Vidal propose le rendez-vous à Didot , mais le lieu et l’heure sont indiqués en toutes lettres. Quand on songe que
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