C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’enveloppe a été déposée dans une boîte pratiquement ouverte à tous vents, on a tendance à donner raison aux historiens qui n’ont cessé de stigmatiser une aussi folle imprudence. Ce n’est pas l’avis d’un témoin, le mieux à même de juger en l’occurrence : Daniel Cordier. Celui qui assura, pendant la Résistance, le secrétariat de Jean Moulin m’a déclaré : « Nous agissions tous ainsi. Nous n’avions pas le temps de coder toutes nos correspondances. Et puis il aurait fallu que chacun de nous porte sur soi en permanence le code utilisé. Cela aurait constitué un danger supplémentaire. Alors, nous courions le risque. Seuls les messages envoyés par radio à Londres étaient codés (88) . »
Renonçons donc à critiquer Mme Raisin. Après avoir déposé son message rue Bouteille, elle a rejoint son chef. En la voyant paraître, Henri Aubry s’est exclamé :
— Vous êtes allée mettre la lettre dans cette boîte ? Malheureuse ! Vous avez de la chance d’être revenue : la Gestapo était dans la maison (89) !
Comment la Gestapo a-t-elle découvert l’existence de la boîte Dumoulin ?
Tout est venu d’un résistant arrêté par les Allemands et qui, tenaillé par la peur, s’est mis à leur service. Ceux qui ont étudié l’histoire de la Résistance savent qu’un tel cas est malheureusement loin d’être unique. Le traître s’appelle Multon et porte, dans la Résistance, le pseudonyme de Lunel. Il a été l’adjoint du général Chevance-Bertin, chef de l’Armée secrète dans le Sud-Est. C’est la Gestapo de Marseille qui, le 28 avril 1943, l’a arrêté. Ernst Dunker, alias Delage , chef du bureau IV du KDS (commando régional du service de sécurité), l’a « retourné ».
Ce qui laisse pantois l’observateur, c’est l’incompréhensible comportement de celui qui, la veille encore, était un parfait résistant. Il pourrait chercher à donner le change, se contenter à la rigueur de laisser échapper quelques informations de second ordre. Or c’est avec une ardeur qui ressemble à de la passion de bien faire qu’il se met en chasse de ses anciens camarades. Nul ne songe à se méfier de lui. Pierre Guillain de Bénouville témoigne : « Il parcourait les avenues où nous avions l’habitude de donner nos rendez-vous, allant droit aux restaurants que nous fréquentions et donnant à ceux qui le rencontraient le baiser de Judas. »
Au bout d’un mois, Multon sera responsable de tant d’arrestations que le SS Scharführer Dunker-Delage le juge définitivement « brûlé » à Marseille. Il met Multon à la disposition d’un collègue dont le nom seul évite bien des explications : le SS Hauptsturmführer Klaus Barbie, chef du bureau IV du KDS à Lyon.
C’est dans cette ville que Multon se voit flanqué d’un certain Robert Moog, ancien contremaître à la Poudrerie de Toulouse et devenu l’agent K 30 de l’Abwehr. Désormais, les deux hommes vont travailler la main dans la main. Le jour même de son arrivée à Lyon, Multon fait cadeau à Moog d’une information d’importance : l’adresse de la boîte aux lettres Dumoulin. Ignorant sa trahison, un résistant marseillais la lui a confiée.
Moog en personne se rend rue Bouteille, ouvre la boîte aux lettres et y trouve – résultat pour lui inespéré – le message en clair d’Aubry à Didot invitant ce dernier à se rendre à Paris le 9 juin, à 9 heures, au métro Muette, pour y rencontrer Vidal (90) .
Copie est prise du message qui, naturellement, est laissé en place. Immédiatement informé, Klaus Barbie ne songe pas un instant à minimiser l’information. Ce Vidal et ce Didot dont il ignore tout sont à n’en pas douter des résistants importants. En découvrir l’identité ne peut manquer de se révéler fort intéressant. Dans cette perspective, une descente au métro Muette s’impose.
Puisque la collaboration Moog-Multon a déjà porté ses fruits, Barbie décide de confier aux deux hommes la suite de l’opération : ils se rendront à Paris où, ayant reçu les renforts nécessaires, ils s’empareront des résistants inconnus.
Depuis longtemps, Jean Moulin se sent menacé. Trois jours après sa diffusion, une circulaire des Mouvements Unis de Résistance est tombée aux mains de la Gestapo. Son action depuis dix-huit mois y était retracée et commentée. On y faisait même état de ses déplacements. Dans un rapport du 7 mai, le représentant
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