C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
remarqué l’attitude de Janos Kadar. On l’a vu approuver avec force tous les propos du Vieux, s’approchant même ouvertement du diplomate soviétique pour le mettre en garde contre toute tentative soviétique. On l’a entendu l’avertir – non sans véhémence – que, si les chars soviétiques entraient dans Budapest, il descendrait lui-même dans la rue et se battrait à mains nues s’il le fallait.
Le même 1 er novembre, Kadar glorifie l’insurrection. Il rappelle que « les écrivains, journalistes et étudiants communistes, les jeunes du Cercle Petöfi, appuyés par les milliers d’ouvriers et de paysans, ainsi que les anciens militants injustement emprisonnés, ont combattu en première ligne contre le despotisme rakosiste et le gangstérisme politique ».
Or, le soir du même jour, Kadar – en compagnie de Münnich, autre vieux communiste – disparaît. Le 2 novembre, en un lieu qui n’est pas précisé, les deux hommes forment un gouvernement, destiné à faire pièce à celui de Imre Nagy !
On a beaucoup épilogué sur ce fantastique « retournement ». Kadar a-t-il tout à coup pris conscience que, finalement, la force brutale triompherait et que, par tactique, il valait mieux rejoindre le prévisible vainqueur ? À-t-il dû – inébranlable révolutionnaire – admettre que, cependant que se développait l’insurrection hongroise, les forces anticommunistes prenaient le pas sur toutes les autres ?
Ce que l’historien doit constater, c’est que ce ralliement vient à point nommé. Kadar lance un appel solennel aux « frères soviétiques », les invitant à voler au secours du socialisme menacé en Hongrie par la réaction et l’impérialisme !
Dès lors, tout ira vite, très vite. À l’aube du dimanche 4 novembre, Budapest entendra de nouveau rouler dans les rues de la capitale les chenilles des chars soviétiques.
Jusqu’au 7, on se bat dans Budapest. Ce n’est que le 20 novembre, dans les faubourgs ouvriers, que s’achèvera la lutte du pot de terre contre le pot de fer. On estime à dix mille morts ce qu’a coûté la révolution hongroise.
Adieu au socialisme hongrois à visage humain ?
Le 4 novembre, Imre Nagy a demandé asile à l’ambassade de Yougoslavie. Avec sa famille et plusieurs de ses fidèles, on l’y a reçu.
Kadar a regagné Budapest, pris possession de l’autorité gouvernementale. Que faire de Nagy ? Kadar négocie avec Tito, lequel tient – à tout prix – à garantir la sécurité du Vieux. Le 21 novembre, il s’adresse au gouvernement yougoslave : « Nous prenons note qu’au reçu de la présente lettre, l’asile accordé au groupe prendra fin et que les membres du groupe quitteront l’ambassade yougoslave pour rentrer librement chez eux. » Nagy considère cette prise de position comme une garantie. Il accepte, avec les siens, de quitter l’ambassade yougoslave. Un car attend devant la porte. Nagy, sa famille, ses amis, y prennent place. Deux fonctionnaires de l’ambassade les accompagnent.
Un peu plus loin, un détachement soviétique arrête le car. On chasse les Yougoslaves. Plusieurs Soviétiques les remplacent. C’en est fait de la liberté de Imre Nagy.
Emmené en Roumanie, il y passera dix-neuf mois en captivité. Après quoi, il sera reconduit en Hongrie, jugé et exécuté avec trois de ses compagnons. Il ne semble pas que la décision de les mettre à mort ait été prise à Budapest.
Rien ne suscite davantage l’amertume que les morts inutiles. Les Hongrois n’ont jamais oublié le Vieux. Ils en parlent encore avec tendresse. En couvrant de son autorité absolue la pendaison d’un Nagy réduit à l’impuissance, Janos Kadar a-t-il voulu, comme Danton, jeter délibérément à l’Europe une tête de roi ? A-t-il plutôt cherché à signifier à une opposition larvée qu’il lui était inutile de songer à de possibles lendemains ?
La Hongrie n’est jamais redevenue ce qu’elle avait été au temps de Rakosi. La réhabilitation de Rajk avait annoncé la révolution d’octobre 1956. Si celle-ci n’a pas atteint ses buts – il s’en est fallu de beaucoup – l’histoire démontre qu’elle n’a pas été complètement inutile.
On n’a plus revu la terreur en Hongrie. Ceux qui ont voyagé dans ce pays au long des années – c’est mon cas – ont pu y constater un climat tout particulier. Il n’était pas question de démocratie parlementaire, bien sûr, mais les Hongrois avaient
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