C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
Kremlin la décision d’écraser définitivement la « contre-révolution » hongroise.
Par la force.
Liberté ! Liberté ! Le mot est sur toutes les bouches, dans tous les cœurs. Quand le cardinal Mindszenty arrive à Budapest, il est acclamé. Comment pourrait-il en être autrement ? Le prélat déclare que l’Église catholique respectera les institutions politiques et les conquêtes sociales du peuple hongrois. Aussitôt Radio-Europe Libre proclame que les insurgés doivent désormais se ranger derrière le cardinal. Quel jeu la radio américaine de Munich joue-t-elle ?
L’espoir ne va durer qu’un seul jour. Le temps pour Khrouchtchev de dire niet Déjà, l’URSS prépare l’opération finale. Dès le 1 er novembre au matin, parviennent, dans la capitale, d’étranges – et alarmants – appels téléphoniques. Tout d’abord, les Hongrois ne comprennent pas. On leur a parlé du retrait des forces soviétiques. On croit même la chose faite. Or de nouvelles troupes russes – leur crie-t-on aux oreilles – franchiraient la frontière ! D’heure en heure, les avertissements se changent en certitudes. Sur toutes les routes, des blindés russes roulent à toute allure vers des points dont il est clair qu’ils ont été soigneusement choisis. Les chars prennent position autour des gares, des ponts, des aérodromes, des carrefours stratégiques. Qu’est-ce que cela signifie ?
Imre Nagy est face à lui-même. La tragédie hongroise devient la sienne. Dans son bureau, le Vieux médite. Bientôt les blindés russes fouleront de nouveau le pavé de Budapest. C’en sera fini de la tentative d’un socialisme libéral. C’en sera fini de l’espoir d’un peuple entier.
Alors, attendre ? Baisser les bras ? Accepter l’inéluctable ? Dix jours plus tôt, le Vieux s’y serait peut-être résigné. Depuis, il a ressenti la chaleur des contacts, l’immense compréhension échangée entre un peuple et un homme, la confiance et l’amour populaires. Le lien qui l’unit aux Hongrois est devenu charnel. Le Vieux décide de faire face. Il fait savoir qu’il ajoute à ses fonctions de Premier ministre celles de ministre des Affaires étrangères. Il frappe le coup décisif et proclame la neutralité de la Hongrie.
Au vrai, il espère prendre les Soviétiques de vitesse. Aucune loi écrite n’indique que la Hongrie doive être – de droit et de devoir – un satellite de l’URSS. Tout État libre doit pouvoir définir lui-même sa politique. Imre Nagy agit comme s’il était chef d’un tel État. Il place l’URSS devant un choix : ne pas intervenir et laisser s’établir en Hongrie un régime qui n’a pas obtenu son approbation ; intervenir et démontrer que l’indépendance de la Hongrie n’est qu’une fiction.
Fort de l’approbation de l’immense majorité des Hongrois, il tente l’impossible. Il pense que le contexte international peut le servir. On commence à parler de détente, de coexistence pacifique. Moscou multiplie les sourires à l’adresse de l’Occident. Sans vergogne, Khrouchtchev va-t-il oser signifier au monde entier que décidément, depuis Staline, rien n’a changé ?
Les États-Unis n’ont pas toléré l’invasion par les communistes de la Corée du Sud. Ils leur ont barré la route. Ils ont gagné. Imre Nagy envisage-t-il que la liberté hongroise vaut une guerre mondiale ? Qui pourrait le croire ? Mais qui voudrait totalement le nier. ?
Le risque est pris. Il est immense. Les Hongrois pleurent quand ils entendent Imre Nagy, à la radio, de sa voix profonde de brave homme, avec son accent de terroir, les appeler encore à l’espoir :
— Peuple de Hongrie ! Le gouvernement national hongrois, conscient de sa profonde responsabilité envers le peuple de Hongrie et son histoire, et donnant expression à la volonté individuelle des millions de Hongrois, proclame la neutralité de la République populaire de Hongrie. Le peuple hongrois désire consolider et développer ultérieurement les résultats de sa révolution nationale sans adhérer à aucun bloc de puissances. Le rêve centenaire du peuple hongrois et ses héros a fini par acheminer vers la victoire la cause de la liberté et de l’indépendance.
Bouleversés, les Hongrois tendent l’oreille vers le récepteur de radio. Le Vieux achève :
— Nous pouvons dire que notre peuple est plus uni dans cette décision qu’il ne l’a peut-être jamais été auparavant dans son histoire.
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