C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
1958.
Quand Delbecque fait ses comptes, il se garde d’oublier les 7 500 hommes armés du dispositif de protection urbain (DPU), formé en mars 1957 par Lacoste. Le colonel Trinquier les commande. Dans l’esprit de Lacoste, le DPU aurait dû canaliser les activistes. En fait, il leur permet de s’entraîner et de comploter librement sous le drapeau de l’armée.
L’un des premiers contacts de Delbecque en Algérie : un officier que révoltent les méthodes de l’état-major, le commandant Pouget, ancien d’Indochine. Séduit par ses idées brillantes, originales, Delbecque a voulu le faire nommer au cabinet de Chaban-Delmas. Pouget a refusé :
— Je ne veux pas entrer au cabinet. Je veux rester à Alger, avec un ordre de mission précisant ce qu’on voudra, mais je ne veux pas être sous les ordres de Salan, ceci pour garder les coudées franches. Il faut créer une antenne du ministère.
Antenne . À peine lancé, le mot fera fortune. Chaban se déclare séduit par l’idée. On loue une villa dans un quartier quelque peu isolé, El-Biar. On ne dispose d’aucun crédit. Delbecque doit faire la quête auprès de quelques amis et combler les brèches avec ses propres économies. Détail : jamais on ne le remboursera, même quand de Gaulle sera au pouvoir.
En février 1958, l’antenne est en place. Delbecque va s’attaquer à une entreprise singulièrement difficile : convaincre le colonel Thomazo de se rallier à de Gaulle. Il garde sans cesse à l’esprit ce que Biaggi a confié : deux hommes tiennent les clés d’Alger, Mario Faivre et surtout Jean Thomazo.
Delbecque se rend chez Thomazo, lui présente une recommandation signée Debré et une autre signée Biaggi. Il lui parle du régime, de l’Algérie française, lance avec force :
— Vous ne pourrez sauver l’Algérie française que si vous renversez le système et que si vous remplacez la République par le général de Gaulle.
Ce qui naturellement suscite chez le Corse une tempête digne des cyclones qui périodiquement ravagent le golfe du Mexique. Delbecque ne perd pas pied. Le calme immense de l’homme du Nord l’emporte peu à peu sur les bouillonnements sporadiques du Méditerranéen. Trois jours plus tard, Thomazo se reconnaît convaincu. Désormais, grâce à Nez de cuir, Delbecque disposera d’une infrastructure capitale.
De telles intrigues ne passent inaperçues ni de Salan ni de Lacoste. Le ministre-résidant se plaint ouvertement des contacts pris par le représentant de Chaban pour unifier et contrôler les mouvements algérois :
— Vous fichez le bordel ! répète-t-il au nordiste.
Ne sortant jamais de son calme, Delbecque répond qu’il demeure dans son rôle de conseiller en guerre psychologique et attend qu’on lui démontre le contraire.
Pour l’homme de Chaban, la difficulté essentielle demeure entière : comment susciter des partisans gaullistes en un milieu qui n’en comporte pas ?
Quelque temps, Delbecque a espéré le ralliement de Pierre Lagaillarde, président de l’Association des étudiants. Ce grand garçon barbu plein de flamme est allé trouver Michel Debré à Paris. Il a cru comprendre qu’une crise s’ouvrirait bientôt à Alger. À son retour, Thomazo le lui a confirmé. Décidément Lagaillarde n’est pas gaulliste :
— Le coup d’État de Polichinelle de M. Chaban-Delmas, je n’en veux pas. Ne comptez pas sur moi !
Depuis son arrivée à Alger, Delbecque a acquis une certitude : nul n’est plus populaire en Algérie que Jacques Soustelle. Puisque l’Algérie ne veut pas de l’homme du 18 juin, pourquoi ne pas rallier plutôt des partisans à Soustelle ? Extraordinaire idée qui va porter des fruits juteux. Les conjurés que ralliera désormais Delbecque dans l’ombre seront des hommes qui attendent le retour de Soustelle. Delbecque sait que, si Soustelle rejoint Alger, il en appellera aussitôt à de Gaulle. Et le tour sera joué. Mais le nordiste se garde bien d’exprimer à ses nouvelles recrues le fond de sa pensée. En attendant, il crée à Alger une section de républicains sociaux.
Il m’a raconté :
— En Algérie, j’ai réussi, en quelques mois, à regrouper tous les mouvements, toutes les associations, tous les partis – sauf quelques minimes, bien entendu –, tous les syndicats, y compris la CGT, tous les étudiants, tous les organismes qui sont capables de marcher. Ce rassemblement, nous l’avons baptisé Comité de
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