C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
vigilance. C’est la préfiguration de ce que sera le Comité de Salut public du 13 mai. J’ai de nombreux contacts avec les musulmans de tous azimuts, non seulement dans les villes mais dans les djebels. Le nom de De Gaulle, pour eux, ouvre la porte à une grande expérience et à une grande espérance. Et je sens les musulmans prêts à faire quelque chose avec lui. Chez les militaires et chez les civils, l’idée d’un gouvernement de Salut public fait également son chemin. Le mot, je l’ai prononcé. La difficulté, c’est la réticence de certaines organisations qu’on peut bien appeler activistes, qui recherchent vainement un homme et une équipe à qui elles pourraient apporter leur soutien. Mais cela est compensé très largement par tous les anciens combattants que j’ai réussi à regrouper dans mon Comité de vigilance.
Parmi ceux que Delbecque a ralliés, un grand nombre lui posent maintenant des questions très précises sur de Gaulle, sur les institutions, sur le devenir de l’Algérie. Delbecque le sent : il lui faut absolument rencontrer de nouveau de Gaulle. Il part pour Paris.
Quand, au début d’avril 1958, Delbecque vient dire au général que « les affaires bougent » et que même « elles peuvent devenir assez graves », comment va réagir de Gaulle ?
— Je le trouve très ouvert, très coopératif, m’a dit Delbecque. Il a hâte – et je le sens – d’être informé et cela dans les moindres détails. Mais moi aussi j’ai besoin d’être assuré d’un certain nombre de choses et même j’ai besoin d’avoir des certitudes et je lui dis : « Mon général, il est possible que les événements se précipitent, j’ai l’impression que tout peut arriver là-bas. Imaginez un instant que les musulmans, les Européens appellent le général de Gaulle, que l’armée les soutienne et vous soutienne, et que la métropole accepte de faire appel à vous. À ce moment-là, mon général, quelle serait votre position ? Nous ne sortons pas de la légalité, mais il y a un appel à de Gaulle, et cet appel vient de tous. »
« Alors tombe de ses lèvres une réponse que je n’oublierai jamais :
« — Si on fait appel à moi dans ces conditions, Delbecque, alors je répondrai : présent. Vous pouvez compter sur moi. On peut compter sur moi. »
À l’instant même, Delbecque se sent des ailes ! Il lui faut pousser plus loin : puisque, le cas échéant, de Gaulle répondrait positivement, il doit dire ce qu’il envisage pour l’Algérie. Delbecque insiste. De Gaulle :
— Allons, Delbecque, est-ce que vous avez déjà vu de Gaulle abandonner quelque chose ? Tout dépendra de l’état dans lequel je retrouverai l’Algérie au moment où ces événements se seront passés.
Delbecque insiste encore. Les responsables des communautés musulmanes s’inquiètent de leur statut.
— La métropole et l’Algérie ne font qu’un, lance de Gaulle, les musulmans doivent avoir les mêmes droits. On peut toutefois envisager, compte tenu de leurs coutumes particulières, qu’ils aient un statut spécial, une sorte de droit à la différence.
Cela suffit au nordiste. La position du général, il la conçoit. Récit de Delbecque : « Et puis il me parle de Suez, et puis de la démagogie de Nasser qui lui fait peur, “ce panarabisme, me dit-il, est capable de nous gêner beaucoup en Tunisie”. L’attitude de Bourguiba l’inquiète. Il me recommande d’être prudent. “Vous savez, me dit-il, ils sont encore capables de vous mettre dans le trou.” Je lui dis que j’ai parfois le sentiment d’être très seul et que notre entretien m’a apporté un certain réconfort. Il me confirme que je peux compter sur lui, si certaines hypothèses se réalisaient. En quittant la rue de Solférino, j’ai quand même l’impression qu’il n’est pas totalement convaincu que nous allons vers le grand chambardement. Mais j’ai la certitude qu’il va s’y préparer. »
Impossible de le nier : en ce printemps de 1958, de Gaulle doute toujours de son retour au pouvoir. Le 13 avril, il reçoit à La Boisserie André Astoux qui lui dit :
— Mon général, ne croyez-vous pas que votre heure approche ?
De Gaulle lève ses grands bras vers le ciel :
— Illusions, Astoux, illusions !
Le 17 avril, à Philippe Marçais, doyen de la Faculté d’Alger, venu lui dire qu’une explosion est imminente de l’autre côté de la Méditerranée :
— Les
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