C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
sexagénaire à cheveux blancs, le docteur Félix Martin qui, avant la guerre, a appartenu à la Cagoule : il complotait déjà de faire sauter la République. Le « grand V », c’est lui.
Peut-être Robert Martel a-t-il d’abord ressenti quelque déception : que peut représenter le docteur Félix Martin ? La désillusion ne dure pas. Le médecin révèle au chouan l’identité du « grand A ». C’est le général Paul Cherrière, l’ex-commandant des troupes d’Algérie. Il est prêt à tout pour que l’Algérie reste française. La joie que Martel ressent va être décuplée quand le docteur Martin lui apprend que le « grand B » est le général à cinq étoiles de l’armée de l’air Chassin, chargé de la coordination, à l’état-major de Fontainebleau, de la force aérienne du centre Europe et l’un des créateurs de l’Aéronavale. Cet ami de Saint-Exupéry est passionné par tout ce qui touche à la guerre psychologique ; il a écrit sur Mao Tsé Toung. Dès lors, l’affaire apparaît dans toute son ampleur à Robert Martel. Non seulement le complot du GRAND O n’est pas une farce, mais c’est quelque chose d’infiniment sérieux.
Négligemment, le docteur Martin lui révèle aussi l’existence d’un « petit a ». Il se nomme Yves Gignac. Cet ancien d’Indochine est devenu secrétaire général de l’ACUF (Association des combattants de l’Union française), 30 000 cotisants, et dispose d’un fichier de 88 000 anciens combattants. Le président d’honneur de l’ACUF n’est autre que le général Chassin. Périodiquement, les hommes de Gignac retrouvent les hommes de Biaggi ou de Le Pen, ancien para devenu député poujadiste. Ils organisent ensemble des manifestations.
Quant au général Cherrière, administrateur des Amitiés africaines, il effectue de nombreux voyages en Algérie. Il inspecte notamment les « maisons du soldat ». À cette occasion, il noue beaucoup de contacts. Il ne parle jamais de complot, mais engage ses interlocuteurs à lutter avec foi et courage contre les adversaires de la patrie, au premier rang desquels il range les communistes. Si la situation l’exige, c’est l’armée qui prendra le pouvoir. L’armée, mais pas de Gaulle. Les hommes du GRAND O ressentent une méfiance fondamentale à l’égard du restaurateur de la République. Leur maître à penser, c’est le dictateur du Portugal, Salazar. Leur programme : fonder un nouvel État sur la famille, les corporations, la patrie.
Désormais, Martel marchera la main dans la main avec le « grand V » et ses collaborateurs. Le plan a pris forme : Martel provoquera une insurrection à Alger. On investira le siège du Gouvernement général. L’armée emboîtera le pas, le général Salan à sa tête. Alors entrera en scène le général Cherrière. Il prendra le pouvoir à Alger. En métropole, le général Chassin s’emparera de la préfecture de Saint-Étienne, où l’on dispose d’un groupe clandestin constitué. Il proclamera un Comité de Salut public. Rien de plus prévisible qu’une réaction communiste. Si elle tarde, on la suscitera. Aussitôt, Cherrière ordonnera aux paras d’Alger d’aller rétablir l’ordre en métropole. Certaines troupes que l’on sait avoir en main sauteront sur Paris où l’on se sera déjà emparé des points stratégiques. Un directoire politico-militaire prendra le pouvoir.
À lire l’exposé d’un tel plan, on est tenté de hausser les épaules. Si l’on réfléchit, on doit bien constater que c’est très exactement celui qui, dans ses grandes lignes, sera appliqué le 13 mai 1958. À cette différence près que quelques gêneurs viendront verser du sable dans un engrenage si bien huilé.
Ce dont s’aperçoit aussi Delbecque à Alger, c’est que les conjurés de tout bord regardent du côté du colonel Thomazo, l’une des figures les plus populaires de l’Algérie ; ayant perdu le nez au combat, il l’a remplacé par un bandeau noir et y a gagné son sobriquet : Nez de cuir . D’origine corse, Thomazo ne se cache pas d’être bonapartiste. Il veut balayer le régime pourri et garder l’Algérie à la France. Il commande les unités territoriales (UT), fondées en 1955 par le général Cherrière – le revoilà – et naturellement truffées d’activistes. À la fin de 1957, Thomazo a créé l’Unité blindée (UTB). Les UT seront, avec les étudiants, le fer de lance de l’insurrection du 13 mai
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