Charly 9
corrige
la délicieuse protestante.
— Hein ?
— Pas les lapins, les
huguenots…
— Oui, c’est ça, les lapins.
Coutelas de chasse au côté qu’il ôte
du fourreau et avec ses hautes bottes de cuir épais à grosses semelles, il
course dans l’appartement de Marie les rongeurs à grandes oreilles. Ceux-ci
bondissent partout. Lui, sautille d’allégresse et se donne plaisir. Il crie
qu’il est seul roi de France ! Que de sang, de meurtres et de rage à
travers les pièces où l’altesse poursuit les lapins. On entend derrière une
cloison des boucans de meubles renversés, de chaises virées à coups de bottes,
et ceux de vases qui se brisent en éclats sur les dalles. À cela se mêle le cri
horriblement strident d’une trompe de chasse dont il joue très faux et qui, il faut
bien le reconnaître, fait plus de bruit que de musique.
— On t’entend de loin, s’amuse,
nonchalamment accoudée au lit, la blonde langoureuse. Et quel son ! Comme
il est nourri !
Elle se parfume avec une poudre de
Chypre. Vernis, voiles vaporeux, trop de linge et des bagues, elle se sert un
vin sucré dans un verre à patte, écoute, yeux baissés, le vacarme. Elle relève
les paupières pour voir le roi traverser dans l’autre sens la chambre en
hurlant après la peau de ses gants : « Allez, chasse, chasse, lévrier ! »
La main dextre gantée et armée mord, de son unique dent de fer, le corps des
garennes. Marie Touchet contemple la scène de désordre dont sa chambre devient
le théâtre. La bougie près du lit semble un reproche muet pour cette nuit d’orgie.
« Ah, je vous tiens, vous ne
m’échapperez plus ! Et toi, va-t’en dire à ton Dieu qu’il te sauve à cette
heure ! », crie le roi après un lapin qui se jette en l’air contre un
mur percé de vitraux monotones. Charly 9 l’assassine contre un montant de
pierre divisant la fenêtre et le gibier glisse dans une verticale traînée de
sang.
Le velléitaire, pris de démence, ne
peut plus maîtriser sa fureur. Il sonne du cor à perdre haleine. Tant de
cavalcades maintenant également dans une autre pièce d’où l’on entend monter des
éclats de rire. Il fait un bruit de diable, voulant un mal mortel aux garennes.
Il les menace, les injurie, les frappe. Il vaut mieux ne point trop savoir
comment il les étrille là-bas aussi. Il ne prêche que boucherie. Étrange
facétie et tapage nocturne, les voisins excédés sortent dans la rue.
Cordiers, corroyeurs et
chaudronniers se demandent qui peut bien foutre un tel bordel à cette heure
avancée. Lanterne à la main, un tavernier de la ville, couvert d’un manteau
noir par-dessus sa chemise de nuit, répond :
— C’est celui qui a déclenché
la Saint-Barthélemy.
Orfèvres, ivoiriers, chapeliers,
observent la façade aux pans de bois décorés et chapiteau de pilastre avec ses
figures de grotesques sculptées. Un drapier tend le poing vers la
demeure :
— Valois, un jour viendra, tu
seras enfumé !
Après ces frasques dévouées au culte
de Diane, voici le temps de Vénus. Plus de lapins en vie dans l’appartement, le
monarque revient dans la chambre :
— La prochaine fois,
j’apporterai des canards que je chasserai à l’arquebuse.
— Charly, tu agis ainsi dans
l’appartement de ta teutonne ? Tu peux me le dire. Je ne suis pas jalouse.
L’Allemande ne me fait pas peur.
— D’elle, je prends grand soin.
C’est ma tenue du dimanche. Je la mets peu afin de ne pas l’abîmer ni qu’elle
me fasse un héritier tandis que toi, putain comme chausson…
À quoi, se levant pour lui donner un
grand soufflet, Marie Touchet rétorque : « N’avez-vous pas honte de
me dire cette parole ? » Lui, la repousse sur le lit :
— Je vais te servir avec tous
les honneurs possibles.
— Et j’aurais tes
hommages ?…
— Ah, parbleu, tu les auras
souvent ! promet-il à celle qui dénoue les aiguillettes de cette partie du
costume masculin attachée aux hauts-de-chausse par ses deux angles supérieurs.
Devant la braguette ouverte, Marie
Touchet s’étonne :
— Qu’est ceci ? Un limaçon
qui sèche dans sa coque ? Ah mais non, c’est fleur qui pousse et sève qui
monte.
Sa voix est sans éclat. Sa chemise
glisse sans bruit. Le roi la rejoint dans l’ampleur des coussins de son lit. Un
an de plus que lui, elle le prend dans ses bras et lui dit : « Je
suis ta huguenote âme et tripes… » Et l’on dirait que les rideaux bougent.
Les
Weitere Kostenlose Bücher