Charly 9
enfers. L’air se crève de tonnerres :
— Si m’aït Dieus !
Semidieux ! Foutre de Dieu ! Gast-blé !
Putain, ça chie ! De la
procession qui arrive au carrefour du Gros-Tournoye pour prendre la rue des
Poulies, Marie Touchet, chez elle, entend le murmure des cris au loin :
— Hilh de pute macarel !
Filz à putein ! Cordieu ! Mort de ta vie ! Nom de bleu !…
Par sa fenêtre ouverte, il semble à
la blonde paresseusement alanguie sur son lit que tous ces blasphèmes
reconstituent la voix de son amant décédé qui progresse, les pieds devant, dans
Paris. Son cercueil paraît suivi d’une traînée de poudre qui s’enflamme et
explose :
— Catholique, je t’endormirais
bien pour un long temps !
— Ce n’est rien de causer,
huguenot, si l’on n’a bon courage.
— J’irai devant toi jusqu’à
Saint-Denis !
— Si Dieu te fait la grâce de
vivre jusque-là…
Le problème de l’eau et du feu
ensemble… Les deux clans s’affrontent sous des traits d’arbalètes. La haine
religieuse les égare. La colère recuit en cette guerre civile ambulante.
Rageusement, la terreur s’étend. Les atrocités s’embrasent. Les Malcontents, ni
d’un côté ni de l’autre, se mêlent aux festivités :
— Siècle d’âpretés
juives !
Ah ben, tiens, on les avait oubliés,
eux… Une femme, tenant par les pieds son nourrisson emmailloté le faisant
ressembler à un gourdin, en fout de grands coups sur la gueule d’un type dont
on n’est même pas sûr qu’elle connaisse sa religion. Le fade nouveau-né
s’éclate.
— C’était un sot et un
hâbleur !
— Qui ? Le bébé ?
— Mort aux assassins de
l’amiral !
Et c’est reparti ! Les piques
se dressent comme des épis de blé. Le cortège fait sortir des cours, aboyer,
les chiens en fureur. Sur le pas de sa porte, une personne raisonnable se
lamente, visage dans les paumes :
— Le papier pleurera quand on
écrira ce qui s’est produit… Il est absolument nécessaire que vous guérissiez
ce désordre religieux le plus rapidement possible ! crie-t-elle ensuite à
un capitaine qui écarte ses mains en signe d’impuissance.
La princesse et la duchesse,
commères entrevues à Notre-Dame, s’arrachent les cheveux. Quant aux deux nobles
qui parlaient avant la messe, ils sont morts l’un et l’autre. Lorsque cette
neige humaine aura fondu il ne restera que de la boue. Le sang, de nouveau,
coule à flots au royaume de France. Un Malcontent à chapeau mou en peau,
installant une arquebuse de guerre si lourde qu’elle nécessite pour viser
l’appui d’une fourquine, espère que sa poudre sera assez fine pour faire bonne
fauchée. Il tire en jurant comme un païen. Le plomb destructeur fait tomber
nombre de sujets. Les funérailles tournent au carnage. On voit aussi de tous
côtés tomber l’espérance. Le doigt de leur Dieu vole le long du cortège,
ouvrant un abîme. Quelqu’un, dont on se demande bien ce qu’il fout là,
crie : « Allah akbar !… » Ah ben, tiens, il ne manquait plus
que lui pour que la fête soit totale.
Navrantes obsèques
saint-barthélemiesques et concentré du monde, de la dépouille royale,
maintenant on n’en fait pas plus de cas que d’une chèvre morte. Les plumes de
héron, cygne, autruche, paon, perroquet, des chapeaux s’envolent par des
venelles perpendiculaires. Valois et Bourbon se pourchassent ainsi que
seigneurs protestants et docteurs en Sorbonne qui détalent. En arrivant sur la
plaine de Saint-Denis, pour suivre la famille royale, ils ne sont plus que cinq
gentilshommes éclopés se demandant comment on en est arrivé là. Devant la
basilique, la jeune veuve teutonne aux grands yeux d’azur tristes soupire en
songeant au destin de Charly 9 :
— Décidément, quand ça ne veut
pas…
Arenberg traduit en allemand : « Wahrhaftig,
es soll wohl nicht sein… » puis soudain s’étonne : « Ah,
mais vous parlez français, reine Élisabeth ?! »
— On a forcé mon mari, le
défunt roi, à sortir du monde avant le temps…
La traductrice n’en revient
pas :
— Vous parlez français !
Mais pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?!
Élisabeth lève les yeux au ciel,
regarde les nuages qui passent et répond :
— Qu’y avait-il à dire ?…
Épilogue
Le 5 décembre 1575, Élisabeth
d’Autriche est retournée en son pays s’enfermer dans un couvent où elle a prié
le reste de sa vie (jusqu’à trente-huit ans) pour la paix entre
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