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Charly 9

Charly 9

Titel: Charly 9 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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prochain, est pris d’affreux sanglots qui le
secouent sous son pourpoint. Et il se pleure, s’essuie les yeux, dans une
pensée qui le hante et le fatigue. Tout beugle en sa cervelle ainsi qu’un
troupeau au pré.
    Le long roi aux cent mille morts
(sans compter les animaux) mince et peu large d’épaules est épouvanté par son
propre succès. Ses lèvres qu’auréole maintenant un duvet noir en tremblent.
Malade de regrets et de quels regrets !… il est là, solitaire, comme tapi
dans l’herbe. Sur la peau nue de ses mains, ses mains calamiteuses, les ombres
des nuages roulent des taches abstraites et il n’est plus rien en somme !…
sauf pour l’archer qui le veille au créneau de la tour et pour sa mère près de
son frère Henri, qui l’observent tous deux depuis une fenêtre de l’aile nord.
    — Il marine encore son remords,
essore son dégoût… dit l’accent italien de Catherine de Médicis.
    — Le remords, c’est un rat mort
dont l’odeur pue ! s’esclaffe le duc d’Anjou, tenant dans une main le
rideau tiré qui dégage en partie la fenêtre.
    Vu de la cour, derrière la vitre,
les lèvres épaisses de la reine mère remuent :
    — Tu vois, Mes Chers Yeux, moi
qui interdis les représentations de tragédies au théâtre du Louvre par crainte
qu’elles ne portent malheur, je ne regrette pas l’arquebusade reçue par Goujon
car, de l’autre côté des échafaudages, je n’apprécie guère les thèmes des bas-reliefs
qui entourent ton aîné. J’espère qu’ils ne seront jamais terminés.
    — Ils représentent quoi ?
On ne voit pas bien d’ici… Il y a d’un côté un gars bouclé et de l’autre un
barbu qui se crèvent chacun un de leurs yeux avec une dague, c’est ça ?
    — C’est ça.
    — Effectivement, ce n’est pas
gai… cligne de l’œil Anjou aux paupières et longs cils très maquillés.
    À son fils préféré, chaussé de
bottines lardées de cordons d’or et bordées de perles, la veuve aux voiles de
deuil explique les deux frontons inachevés :
    — Ils reprennent la légende du
juge Zaleucus qui, devant condamner son propre fils à avoir les yeux crevés, ne
l’a contraint qu’à l’ablation d’un œil mais qui, pour que justice soit
respectée, s’est mutilé lui-même un œil également.
    — En voilà un sacrifice !
pouffe Henri habillé comme un perroquet. Tu ferais ça toi, si tu devais
condamner à même punition ton fils ?
    — Quel fils ?… murmure la
mère en contemplant là-bas son rejeton royal assis au teint devenu gris,
pétrifié et semblant statufié tel un héros de tragédie antique.
    Mes Chers Yeux sourit :
    — Et là, c’est bizarre aussi la
fille qui donne le sein à un vieillard sur le troisième bas-relief…
    — Il illustre l’histoire de la
belle Péro qui lors de visites en une prison romaine allaitait en cachette son
père condamné à y mourir de faim. Tu m’allaiterais, Henri, si j’étais à la
place du père et que tu faisais la fille ?
    Anjou relâche de ses phalanges
baguées le rideau qui se rabat devant la fenêtre, se retourne et rit :
    — Mais je fais la fille !…
Demande aux garçons. Mes mignons me trouvent… charmante !
     

 
24
    Encore en bonnet et chemise de nuit
alors qu’on voit par une fenêtre qu’il fait grand jour et ruisseler le long des
vitres une abondante pluie de printemps, le roi cavale pieds nus sur le marbre
des salles du Louvre. Il y fout un boucan de tous les diables. Dans la Petite
Galerie qui longe la Seine, il pourchasse des lapins, glaive au poing.
    Une porte s’ouvre sur le côté et
apparaissent, comme glissants, Catherine de Médicis près de son fils Henri qui
s’étonne :
    — D’où vient cette arme que je
ne lui ai jamais vu porter ?
    — C’est l’épée bénite offerte
par le pape.
    À furieux coups d’épée bénite reçue
en remerciement de la Saint-Barthélemy, Charly 9, parce qu’il pleut trop
pour aller en forêt, fracasse des pieds de meubles sculptés et dorés sous
lesquels se planquent des garennes tremblants. Il chasse entre les murs mêmes
du palais au grand désarroi de sa mère :
    — Ah, elle est belle la France
avec un roi pareil. Il va falloir faire quelque chose…
    — Le tuer ? salive Anjou,
remontant, de ses ongles maquillés, des flots de dentelles autour de son cou
blême. Offre-lui de tes gants « parfumés ». Ça le changera de la peau
de chien. C’est bien ainsi que tu as fait pour te débarrasser de

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