Charly 9
règne et maintenant couvert de ruines, de champs en friche, de bourgs
abandonnés, Charly 9 gouverne la bride de son cheval en contemplant le
paysage. Il aperçoit là-bas un paysan qui laboure. Son profil fluet sur
l’horizon marche derrière une charrue. Il en voit d’autres herser, bêcher,
consulter les anciens à propos d’un nuage qui approche. Le vent cherche noise
aux girouettes. Force cavaliers suivent le monarque en file indienne. L’aspect
vague de la campagne change. La silhouette d’un hameau apparaît au bord de
l’eau.
Indifférent aux gens mécaniques,
tâcherons de bras, aux pêcheurs assis sur des barques qui réparent des filets,
appâtent les hameçons de leurs lignes, le roi précipite sa monture en direction
d’un mulet qui trottinait vers telle ou telle préoccupation. D’un coup de
hache, Charly 9 lui tranche le cou d’où le sang coule comme d’un broc. Pulsions
morbides, Sa Majesté soudain hors d’elle attaque des bêtes d’élevage, aime à
voir couler leur hémoglobine, y prend un plaisir fou :
— Mort-Dieu, il faut tout
tuer ! Voyez combien si j’ai ménagé la forêt, je reviendrai vainqueur des
animaux de ce hameau que j’aurais assassinés.
Son courroux croît rouge :
— Poules, lapins, veaux, vous
mourrez de mes mains ! Vous mourrez, suppliants, de mes mains.
Le monarque est prêt à tout le mal
possible. Il file vers une cour de ferme aux beaux églantiers en bordure d’un
tas de fumier. Toits à porcs et autres bâtiments peu élevés forment un carré.
Attenant au logis, un appentis est ouvert où sont rangés des charrettes et des
essieux. La maison en torchis a un toit de joncs cueillis au bord du fleuve.
Près de la porte pendent des colliers, des étrilles, des aiguillons et des
fouets.
— J’en étais sûr, je le
sentais… déplore le duc d’Aumale, voyant le roi de France à pied s’en prendre
aux agneaux qu’il saigne, à un cheval, aux chiens, aux chats.
— Où sont les rats ? demande
le scélérat du Louvre.
Passant entre des faucilles, des
serpes, des fourches, des boisseaux pleins de clous, sous les nuages coureurs
d’un ciel de lait, il entre dans une étable où se trouvent un bœuf et un âne
qu’il abat :
— Et l’Enfant Jésus, où est-il ?
Ah, le voilà, dit-il en découvrant un canard fuyant dans la cour et qu’il
poursuit.
Le palmipède affolé, bec jaune grand
ouvert, court en cancanant. La main d’un paysan l’attrape par le cou et le lève
face à Charly 9 :
— Fils de Dieu, mon
canard ?… Certes, Sa Majesté est de bien noble esprit d’avoir trouvé cette
gentille invention mais quel différend, roi très chrétien, peut être survenu
entre vous et lui ?
Sa femme arrive, se tenant la tête
entre les mains en découvrant le fort taux de mortalité animale dans la
ferme : « Déjà qu’à la dernière fête, dans le champ derrière, la
plupart des vieillards et petits enfants sont morts de froid… »
Les cavaliers de Cour descendent de
leur monture. Des palefreniers, selliers, charretiers, pêcheurs du hameau approchent.
Le roi éclate de rire. Soudain, sortant de son délire, il tapote un bras du
paysan qui enlace le souverain.
D’autres agriculteurs et pêcheurs,
mains dans le dos, arrivent. Ils entourent le monarque et ceux de sa Cour,
s’approchent, se tassent contre les nobles et rient aussi. À l’altesse qui
demande excuse pour la tuerie, ordonnant à Aumale d’indemniser généreusement
sur-le-champ les propriétaires des malheureuses bêtes – une poule : cinq
ducats, un poulet : deux, un âne… –, les éleveurs pardonnent :
— Bah, même à notre époque
troublée, il faut bien rire quelquefois… surtout en ce jour de l’an.
Maintenant, côte à côte sur une
seule ligne, la Cour à cheval repart vers Paris en coupant à travers un long
champ où se trouvent un chêne au milieu, un autre plus loin. L’altesse, pensée
au vent, s’interroge à voix haute :
— Pourquoi le fermier a-t-il
dit : « En ce jour de l’an » ? Nous ne sommes pas en
janvier.
— Oh, vous savez…, commente le
duc d’Aumale qui chevauche près de lui, les gens de la campagne, les dates…
Charly 9, une main sur la bride
de son coursier, se penche à demi par-dessus l’arçon de sa selle pour observer
à droite :
— Ça pue. Il est avec nous,
Navarre ?
— Non, répond le grand veneur.
Le roi tourne complètement son buste
à gauche :
— Pourtant ça pue le
Weitere Kostenlose Bücher