Charly 9
la d’Albret,
là… la mère d’Henriot ? Dans ton armoire aux poisons, friandises au
curare, tu trouveras bien encore de quoi enduire de senteurs mortelles
l’intérieur d’une paire de gants.
La mère ne répond pas. Le fils chéri
insiste :
— Allez, mamma, ne me dis pas
que c’est impossible… En plus d’une foule de mages et d’astrologues, tu t’es
entourée d’un si grand nombre d’empoisonneurs italiens, qu’on nomme le
Louvre : Égout d’Italie.
Catherine de Médicis, Magicienne
Florentine particulièrement douée pour ourdir des machinations, complots, guets-apens,
trahisons en tous genres, fort habile en diplomatie truquée, dés pipés, regarde
son aîné. Il court, glisse sur les dalles, se relève, se lance dans des hauts
bonds, la bite soudain à l’air sous sa chemise de nuit qui remonte jusqu’au
ventre alors qu’Anjou poursuit son désir de régicide à l’oreille de
mamma :
— Sinon, tu pourrais réclamer à
ton astrologue Cosme Ruggieri la confection d’une poupée de cire à l’image du
roi qu’on percerait d’aiguilles.
La reine mère – louve qui boit le
sang et fait des morts son pain – est surprise par Charly 9 à l’œil rougi
qui passe non loin d’elle sans même la remarquer, tellement à la recherche
d’autre gibier dans le palais :
— Il se laisse pousser la
moustache et la barbe maintenant ?
— J’ai aussi entendu, mamma,
ton devin René évoquer la poudre de corne d’un lièvre marin qui languit une
personne, la fait s’en aller en quelques mois et s’éteindre comme une
chandelle…
Des Suisses déboulent, alertés par
le vacarme au rez-de-chaussée du château. Le monarque, confondant les plumes de
héron qui les coiffent avec celles d’un plumet d’alouette, leur court après.
Épée bénite en avant, il les appelle, s’adresse à eux comme à des
passereaux :
— Petits, petits…
Les soldats s’enfuient vers la cour
carrée avec le roi de France en chemise de nuit à leurs trousses dans les
flaques :
— Petits, petits !…
Au spectacle de cette comédie
qu’elle considère comme une tragédie, la reine mère décide :
— Il faudra penser à lui faire
signer une lettre indiquant que, s’il lui arrivait malheur, il te désigne comme
son successeur.
La porte se referme doucement sur
eux deux.
25
— Oh, mille pines de Dieu
bouffées par le chancre, qu’est-ce que j’apprends ?!
— C’est comme je vous le dis,
Sire : la France est ruinée. Votre État bâille de tous côtés, lézardé
comme une vieille masure qu’on raccommode chaque jour de quelques pilotis mais
qu’on n’empêche pas de tomber.
— Vous en êtes certain, Pierre
de L’Estoile ?
— Certain ! lui répond le
grand audiencier de la chancellerie de France en cette théâtralité d’une salle
du Louvre où le roi tient Conseil étroit. Le royaume est si exsangue et diminué
de moyens que jamais dans l’Histoire on n’a vu ses finances en eaux si basses.
— Ah, par la rate de Dieu, je
ne savais pas qu’on en était là !
— Sortez dans les rues,
Majesté, et vous verrez ce que je vois affiché aux étals : la hausse des
prix des denrées, du vin, du bois. Tout a tellement augmenté que Paris est
maintenant un nouveau paradis où se paie un écu la botte de radis. Un écu,
c’est bien plus que ce que gagne une servante dans l’année ! La viande est
devenue si chère que même beaucoup de bourgeois n’en peuvent plus acheter,
contraints de manger des herbes crues poussées dans les venelles ce qui est une
chose hideuse et pitoyable à voir. Ce qui est bon marché à Paris, ce sont les
sermons. On y repaît de vent la population affamée. Catholiques et protestants
soufflent leurs poisons sur un peuple égaré.
— Ah, par le ventre de
Dieu ! jure Charly 9, manquant de se rompre les mains à force de
frapper sur les bras de son fauteuil qui ne sont pas cotonnés.
Le roi se lève, passe devant sa mère
qui ne dit rien alors que l’audiencier poursuit :
— L’horizon est plus sombre que
jamais. Vidés de tout leur argent, les Français jouissent à peine de l’air.
Hier, j’ai croisé devant le Louvre un homme en habit qui mangeait du suif à
chandelle. Je lui ai demandé s’il n’avait rien trouvé d’autre pour se nourrir.
Il m’a répondu que non et qu’il y avait plus de huit jours que cette nourriture
lui servait de pain à lui, sa femme, et à leurs trois enfants.
— Par la
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