Charly 9
arquebusé
sur l’échafaudage où il cherchait refuge.
— Ah bon ? Quand ça ?
— Ah ben, quand ça… Sire, il
était protestant… Pour la même raison, vous pouvez constater l’absence du grand
philosophe Ramus égorgé chez lui, du magnifique musicien Goudimel en visite à
Lyon et jeté dans le Rhône, du merveilleux potier Bernard Palissy qui a fui en
Alsace où il mène dès lors une vie d’errant…
— Raah !… se désole
Charly 9 en son cabinet où il remue d’un doigt des fleurs jaunes de
millepertuis à la surface d’un verre d’eau qu’il boit d’un trait. J’ai condamné
et fait tuer mes artistes préférés… Je vous avais invité, vous, Dorat ?
— Non, mais comme je savais
qu’il vous manquerait du monde, j’ai pensé qu’un poète…
Le jeune roi debout, bas blancs et
main sur le pommeau d’une épée, fronce les sourcils en évaluant son
interlocuteur, ride quelques sillons apparus à son front :
— Bon, heureusement qu’il me
reste Ronsard, quoi…
Dorat masque tandis que le monarque
demande :
— Mais à propos, où est celui
qui écrit des poèmes qu’il fait bon lire et relire comme on respire une
atmosphère pure ?
Dorat persifle :
— Oh, il doit cueillir de la
salade et rimer sur la manière de l’assaisonner : « La blanchirons de
sel en mainte part, / L’arrouserons de vinaigre rosart, / L’engraisserons
d’huile de Provence ; / L’huile qui vient des oliviers de France / Rompt
l’estomac et ne vaut du tout rien »… à moins qu’il ne conte fleurette à
une trop jeune fille – sa seconde manie – en lui expliquant qu’elle serait fort
sotte de le refuser, que sinon quand elle serait bien vieille le soir à la
chandelle elle le regretterait drôlement… que si elle ne le fait pas par
plaisir elle devrait quand même se forcer pour que, dans les siècles à venir,
on se souvienne toujours d’elle qui aura eu la chance d’être célébrée par
môssieur du Ronsa-a-a-ard… Bon, d’accord, il tourne habilement la rime mais la
prétention de ce versificateur ! Quand il compose un sonnet de dix lignes,
sa signature prend la largeur de la page.
Dorat murmure encore sa rancœur
envers l’illustre confrère (« Ah, s’il avait pu être protestant, ce
con-là ! ») tandis que l’altesse remarque, à l’œil du cerf de la
tapisserie, les plis roses d’une oreille qui tente de mieux entendre le jaloux
revendiquer :
— Moi, Sire, je pourrais écrire
un long poème à votre gloire.
Charly 9 se dirige vers le mur
de la tapisserie qu’il longe ensuite du dos en répondant à Dorat :
— Ah ! N’écrivez rien
d’élogieux sur moi qui n’ai donné encore nul sujet d’en bien dire mais réservez
ces beaux écrits à d’autres…
Huchet à la main, soudain le
monarque pivote vers l’œil du cerf dans lequel il souffle du cor à s’en
exploser les poumons.
Il y a un bref silence puis on
entend de l’autre côté de la cloison un bruit de pas de personne saoule. Le roi
va ouvrir la porte de son bureau donnant sur le couloir. Une blondinette –
espionne de l’escadron volant de la reine mère – sort de la pièce d’à côté en
titubant, sonnée, comme estropiée du cerveau pour des mois. Ronsard qui, panier
de salades à la main, arrivait enfin vers le cabinet royal la croise. Il fait
aussitôt demi tour. En habit noir, col blanc, il prend par le bras la
blondinette chancelante, repart dans l’autre sens avec elle en lui
proposant :
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil
À point perdu cette vesprée…
La blondinette tourne la tête vers
le poète :
— Commeint ?!
23
En deçà de la lettre « K »
pour Karolus en latin, Charles IX – Charly 9 ici – est assis aussi
sous sa devise romaine : Pietate et Justitia (Piété et Justice). De
chaque côté de ces écritures gravées dans le calcaire blond de la façade de
l’aile sud du Louvre donnant sur la cour carrée, le frontispice est illustré de
bas-reliefs en chantier entourés d’échafaudages abandonnés aux fientes des
oiseaux.
Trousse chamoisée et fesses sur la
première marche d’un escalier qui mène au château, Charly 9 a près de lui
un grand vase de Bernard Palissy, un livre de Ramus. Il pianote des doigts sur
un genou une mélodie de Goudimel puis se prend la tête dans les mains.
L’étonnant jeune homme, qui n’aura
vingt-trois ans que fin juin
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