Charly 9
furtifs ainsi que les hyènes font. Le monarque le
suit dans une chambre nue et sans lumière donnant à même la cour. Ses pas écrasent
des herbes odorantes, semences de romarin, genièvre, et des écorces d’oranges,
de citrons, couvrant le plancher et censées assainir l’air de la pièce humide
qui pue le moisi. On trouve ici quantité de toiles d’araignées qu’éclaire la
lanterne du roi et une table bancale avec deux chaises qui se font face.
L’homme à tête maigre et osseuse de
reptile, comme on n’en voit qu’à la cour des Miracles, s’assoit ainsi que le
roi, paraissant satisfait du rendez-vous nocturne en cet endroit louche :
— Au Louvre, l’escadron de ma
mère nous aurait espionnés. Et comme c’est pour lui faire une surprise…
— J’ai préparé notre contrat,
Majesté. Puis-je emprunter cette lumière ?
Sous l’éclairage de la lanterne,
l’homme se met à lire une feuille de papier :
— Charles, par la grâce de Dieu
roy de France, ayant été averti que Jean des Galans, sieur de Pézerolles, avait
un secret en main pour transmuer tous métaux imparfaits en fin or et argent…
— Ça veut bien dire, monsieur
des Galans, l’interrompt le monarque, que vous êtes un alchimiste qui a trouvé
la pierre philosophale et peut transformer n’importe quel clou ou fer à cheval,
même rouillé, en or pur ?
— Oui. Je poursuis : … Ce
faisant, ledict de Pézerolles promet que, dedans trois jours après la date de
la présente, la matière ferreuse du roi à lui déclarée aura été mise en la
décoction magique et dans les vases à ce requis et en tel nombre qu’il plaira à
Sa Majesté…
— Donc, on est bien d’accord,
je pourrai vous donner tout ce que je veux comme plomb, vieille ferraille, tel
le tas que je vous ai déjà fait livrer hier dans cette courette, vous m’en
ferez des lingots d’or ?
— Bien sûr.
— Bon.
L’alchimiste Jean des Galans reprend
sa lecture :
— Le lendemain même de la
signature du présent contrat, le sieur de Pézerolles montrera au roy une
première preuve de transformation de ladicte matière en mercure mortifié ou
unifié. S’en suivra sous deux jours la perfection complète d’icelle en fin or
ou argent selon l’ordre ou degré de sa décoction en blanc ou en rouge.
— Je préférerais que ce soit de
l’or plutôt que de l’argent, précise l’altesse exigeante.
— Très bien, je le note… Et le
roy, en considération de la bonne volonté et grand service que Jean de Galans
lui fait et voulant rendre récompense, promet en foy et parole de roy de lui
bailler à la signature même de la présente la somme de cent mille écus d’or
soleil en deniers purs et clairs.
— Cent mille écus-or, c’est
cher… une bonne partie de la réserve actuelle du trône même si cela tient sur
le dos d’un âne.
— Le prix du bonheur de la France,
Majesté…
— Purs et clairs ,
avez-vous ensuite précisé ?
— C’est parce que, comme je
vous l’ai fait savoir, Sire, j’aimerais mieux être payé en pièces que vous
n’auriez pas forgées.
— Mais puisque, ces rondelles
de fer, vous sauriez les transformer en métal précieux…
— Ce serait là une perte de
temps que je préfère employer à sauver le royaume.
« Je comprends… et partage cet
avis », reconnaît le roi qui se lève pour aller, du dos de sa monture de
moine, désangler le coffre. « Tenez ! » dit-il ensuite en le
déposant sur la table vermoulue dont les pieds plient sous le poids.
28
— 145, 146, 147 marches !…
Ouf, il faut en faire des efforts pour atteindre le ciel alors que lui, on ne
peut pas dire qu’il en fasse tellement pour descendre nous aider. J’en ai la
tête qui tourne.
— Est-ce pour ça, mamma, que tu
portes maintenant, à la chaîne de ton cou, cet amas d’amulettes et de
talismans ? lui demande le roi arrivé avant elle au sommet. Tu ne crois
plus aux religions ?
— Je ne sais plus trop à qui,
quoi, me fier… soupire la mère, s’épongeant le front avec un mouchoir et
reprenant son souffle. Tour à tour papiste ou luthérienne selon les
circonstances, j’aurais surtout tenté de maintenir le royaume en paix mais…
Elle porte une gourde à sa bouche.
— Qu’est-ce que tu bois ?
— Le philtre d’un astrologue.
Peut-être qu’avec ça… on ne sait jamais.
À l’heure ralentie où s’achève le
soir, Catherine de Médicis (devenue très superstitieuse et
Weitere Kostenlose Bücher