Charly 9
chasse.
— Oh, morte couille ! Je
n’aurai donc jamais de repos ! Quoi ! Toujours des troubles !
Le monarque, dans le même pavillon
que sa mère, grimpe à l’étage vers les appartements de sa femme :
— Trop heureux le mortel qui
peut cacher sa vie ! Le trône est souvent chargé d’infortunes !
Il s’enfle en gros jurons très peu
chrétiens alors que, des fenêtres de l’escalier, on peut entendre gueuler parmi
la fétidité des égouts à ciel ouvert de la cité :
— Au feu et à l’eau ! Il
faudrait jeter toute la Cour à la rivière !
— À sac, le Louvre ! À
sac ! Qu’il soit embrasé et, jusqu’aux fondations, rasé !
Ressentant de vives douleurs partout
à travers le corps, Charly 9 est observé, lorsqu’il passe devant les
ouvertures du bâtiment, par son frère Anjou situé de l’autre côté de la cour
carrée et qui plante, en son salon, des aiguilles dans une poupée de cire à
l’image de Sa Majesté.
— Aïe !
Arrivant, tordu d’afflictions,
devant la porte de l’antichambre d’Élisabeth d’Autriche, il découvre la
comtesse d’Arenberg qui en sort :
— Bonsoir, Sire. Mauvaise
journée, n’est-ce pas ?…
— Ma femme a-t-elle mangé son
muguet ou bu l’eau du vase ?!
— Non.
— Où est-elle ?
— Après avoir bordé votre
petite, elle allait aussi se mettre au lit.
— Demandez-lui si elle veut
bien que je la rejoigne.
— Inutile de poser la question.
Elle en sera fort satisfaite et moi je resterai pour interpréter vos mots doux
à tous deux… déclare Arenberg qui, d’autorité dans la chambre, tourne une
chaise dos au lit et s’y assoit, prête à traduire tout ce qu’elle entendra. Si
vous pouviez seulement, Majesté, lors des ébats ne pas trop prononcer de gros
mots comme « Ah, bougresse, tiens, prends ça dans ton… » Je vous dis
ça et pourtant j’ai été mariée longtemps mais quand même… Surtout traduit en
allemand, ça sonne un peu…
La veuve comtesse s’installe et tend
l’oreille. Dans la chambre, c’est le silence. Le roi va pour dire quelque
chose. Il ouvre la bouche mais la reine pose les doigts sur ses lèvres.
Amer et découragé, Charly 9 est
assis contre les oreillers dressés du lit. Élisabeth, en chemise de nuit, s’est
glissée contre lui entre ses bras. Si Arenberg se retournait, elle pourrait les
voir par la fente des rideaux mal joints ou en ombres chinoises dues à la lueur
d’une veilleuse sur la table de chevet.
La douce épouse pensive baise la
poitrine maigre de son mari comme à un enfant. Ah, la grâce consolante de ses
grands yeux… Sur ses cheveux roux défaits un charme glisse. Elle a aussi des
baisers de sœur et daigne essuyer les moiteurs au front de son époux marqué du
signe de la tragédie. Elle a des rougeurs aux joues quand le col de sa chemise
s’ouvre et que le monarque pourrait voir l’œillade de ses petits seins. Sous
les doigts de Charly 9 qui bougent tombe l’armure impuissante du linge fin
de sa femme. La peau d’Élisabeth est délicate et blanche. Elle fait l’aumône
d’elle. C’est bien, c’est beau. Elle le sauve du désespoir et c’est si joli le
pardon quand c’est fleuri d’oubli.
Les gardes-françaises veillent sur
les courtines et le roi tend une main vers un brin de muguet posé sur la table
de chevet. Alors que sa femme a baissé les paupières, il cueille une clochette
qu’il porte à sa bouche. Élisabeth d’Autriche lui retient le bras :
— Ich liebe dich…
Déclaration d’amour qu’Arenberg, qui
s’est endormie, traduit par un ronflement :
— Rooon…
30
Un matin, Charly 9, soixante et
unième roi de France, tire de très bonne heure le cordon près de son oreiller
en regrettant :
— Ô, ce découragement à voir se
lever l’aurore encore ! Quel sot réveil après quel somme ! Il ne
faudrait plus penser aux morts…
— Toujours vos cauchemars,
Majesté ? demande le grand chambellan qui pénètre dans la chambre suivi
par un moine, un médecin, et quelques valets.
— La conscience me ronge sur le
soir et, la nuit, me gronde. Au matin, elle siffle en serpent. Ma propre âme me
nuit. Elle-même se craint. D’elle, elle s’enfuit…
— Voulez-vous que je note tout
cela pour le passer à Ronsard qui l’arrangera en harmonieux alexandrins ? propose
le chambellan alors que le moine qui l’accompagne remue, de haut en bas et de
droite à gauche, un crucifix devant le visage
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