Charly 9
patte de lapin entre
les doigts) a suivi Charly 9 dans cette colonne dorique creuse de plus de
trente mètres de hauteur et trois de large. Au bout de l’escalier à vis, sur
une plate-forme en chantier qui sera, l’an prochain, dominée par une structure
de métal et de verre, ils contemplent tous deux le firmament. La nuit paraît en
diamant tellement elle scintille.
Du haut de la colonne astronomique
désirée par la reine mère, rue des Deux-Écus, on voit mieux Cassiopée et la
Grande Ourse. Quel point d’observation pour contempler le ciel ! Mais
soudain les lèvres épaisses de Catherine tremblent :
— Le revoilà ! Ça fait
quarante jours qu’il passe au-dessus de Paris vers les neuf heures du soir.
— Quoi ?
— Ce « feu en l’air »
qui fait grande et épouvantable lumière…
— La comète ? Eh
bien ?
— Les devins disent qu’elle
présage la mort prochaine du roi.
— Ah bon ?
La mère épouvantée – « Sur dix
enfants, j’en ai déjà eu cinq de morts ! » – jette une poudre
miraculeuse par-dessus une de ses épaules alors que le fils souverain
minimise :
— Ce qu’il faudrait redouter
pour la France c’est que ma vie soit longue et non brève… J’ai, l’autre nuit,
eu un songe dans lequel je vis ma conscience en face ou du moins son image qui
au visage avait les traits de mon visage. Elle m’a pris la main en me
disant : « Mais comment as-tu pu faire ces choix ? »
Lui, soupirant cela sur fond de
constellations, on dirait du Shakespeare, raison pour ne plus lui en vouloir
qu’à peine alors que tel le naufragé d’un rêve ce jeune monarque promène son
souci navré sur la plate-forme. Sa mère lui conseille :
— Tu devrais enterrer une poule
noire et voici, pour te protéger, une bougie verte coulée à minuit dans les
règles de la magie.
— Non merci. Ça ira… Prête-moi
plutôt ta lunette astronomique. Tiens, la queue du feu en l’air s’abaisse sous
l’horizon.
— Que vois-tu d’autre ?
— Rien, en tout cas personne
qui pourrait sauver la France.
— Et l’alchimiste ?
— Ah, tu as appris ? Très
absent aussi du paysage depuis une semaine. J’aimerais bien savoir où est passé
ce sieur de Pézerolles avec tout l’or que je lui ai donné.
Charly 9 dirige sa longue-vue
en plongée vers les rues de Paris comme à la recherche de Jean des Galans. Au
centre de la ville, la colonne astronomique peut servir de tour du guet. La
cité est un lacis de venelles. On y allume des falots et des lanternes qui
permettent de lire des graffitis tracés au charbon sur des murs :
« Roi de rien ! », « On dit que Charles, neuvième de ce
nom, a été engendré derrière un gros buisson », « Tout ton règne ne
fut qu’un horrible carnage. Tu mourras enfermé comme un chien qui
enrage ! ».
Glissant sa lunette astronomique
par-dessus la place de Grève et les fruits pendus des exécutions capitales,
l’altesse fait ensuite le point sur des affiches placardées près des nombreux
cabarets qui entourent le Louvre : « Mort au tyran qui exige l’impôt
de n’importe quoi, même bientôt de l’urine et de l’ombre du platane »,
« Rappelle-toi qu’il est peut-être de ton devoir de tondre le troupeau
mais non de l’écorcher », « La France est de toi tellement
lasse », « Que le diable t’emporte ! »
Sur le tronc d’un arbre détrempé,
d’où les oiseaux sont partis en laissant leurs nids et des squelettes de
petits, on trouve écrit à la craie : « François I er ,
reviens ! »
La ville semble donc pleurante de
soucis et Charly 9 s’en désole : « Sans doute que j’aurais pu
devenir un grand roi. J’ai voulu mais le ciel a ruiné mes menées. » Bras
ballants, yeux rougis, la tête décoiffée, barbe et moustaches fines, il
déambule sur la plate-forme qui indique les points cardinaux et regrette :
« Une erreur lamentable me guide. »
Se tournant vers la mère, il sourit
des fétiches, gris-gris, mascottes, qu’elle porte aux oreilles et de sa mort à
lui annoncée par la comète :
— Après ma moisson d’âmes, les
astres ne me protègent plus… Aïe !
— Qu’as-tu ?
— Je ressens parfois comme des
aiguilles qui me transpercent.
Là-bas, des caymans (mendiants)
réquisitionnés réparent de nuit les remparts ou vidangent les rues.
— Mamma, je ne m’arrêterai pas
en chemin et revolerai. Il le faut. Ne sachant trop quoi faire d’autre, je
pensais
Weitere Kostenlose Bücher