Charly 9
offrir des porte-bonheur à mon peuple.
Catherine de Médicis n’est pas
contre :
— Bah, un porte-bonheur, ça ne
peut pas faire de mal et du moment que ça ne coûte rien au royaume…
Elle redescend dans l’escalier en
pierre et s’évapore comme un parfum.
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— Mais que ça sent bon !
Ah, les premières fleurs, qu’elles sont parfumées ! Les muguets naissants
ont des senteurs innocentes. Comment n’ai-je jamais pensé à en faire jeter dans
l’eau de mes boissons ? Sans doute parce que la période de floraison est
très courte. J’y serai plus attentif l’an prochain. Vive le muguet !
Vêtu d’une belle robe fourrée de
martres zibelines et coiffé d’un chapeau noir couvert de plumes, le roi de
France compose sur le rebord de la cheminée éteinte, d’un geste sobre et lent,
un bouquet frais cueilli puis se retourne dans la chambre de son épouse à qui
il est venu l’offrir.
Elle, en robe chatoyante bordée de
perles – innocence et simplicité dans ce Louvre dépravé –, prend entre ses
doigts les brins de muguet tendus par le mari. Elle sait que son époux a une
maîtresse mais ne lui en fait jamais pire chère ni ne lui en dit parole
(forcément puisqu’elle ne parle pas français !). Elle supporte patiemment
sa petite jalousie et le larcin qu’il lui fait. Pour l’instant, émue, Élisabeth
d’Autriche dont la silhouette ressemble à la courbe d’une tige de muguet porte
les clochettes offertes à ses narines, les sent, et ça lui entre au cœur.
À dix-huit ans encore, elle relève
ses paupières aux cils d’or vers le monarque à peine plus âgé qu’elle. Étant
donné qu’Élisabeth se contente de sourire, la traductrice Arenberg n’a rien à
dire. En revanche, par la fenêtre ouverte de la chambre, on entend crier dans
les rues. Ce sont les voix de soldats qui offrent un brin de muguet aux
gens :
— En ce 1 er mai,
c’est de la part du roi qui vous souhaite bien du plaisir ! Tenez madame,
tenez monsieur, ce porte-bonheur. Les brins de muguet ont treize clochettes. Ça
vous portera chance. Prenez, vous, et puis vous aussi, prenez-en tous ! Ça
a poussé derrière les remparts où furent répandus, l’automne dernier, des
cendres de parpaillots. Voyez comment, grâce à cet engrais, ça a donné cette
année !
Un autre soldat, passant devant la
porte ouverte d’une pauvre maison, propose à une famille indigente attablée
devant un triste bouillon :
— Voulez-vous du muguet ?
C’est de la part de Notre Majesté qui ne boit que de l’eau où trempent des
fleurs…
Assis sur son banc et dos à un
misérable lit de feuilles de châtaignier, un père squelettique, qui portait la
cuillère à sa bouche d’un air rien moins que soumis, râle après
Charly 9 :
— Pour une fois qu’il nous file
à bouffer, celui-là !… Donnes-en une poignée, soldat, pour mettre dans la
soupe.
Le père répartit également les
clochettes et les feuilles de porte-bonheur dans chacune des écuelles de sa famille
en calculant :
— Toujours ça de plus à
becqueter !…
Puis ils se remettent à manger mais
soudain suffoquent, tombent, les yeux révulsés. Ailleurs, c’est une mère qui
fait boire à son tout-petit l’eau du gobelet où elle avait plongé la tige d’un
brin :
— Allez, ça masquera l’odeur de
vase de la Seine. Encore une gorgée pour Notre Altesse !
L’enfant devient violet, tétanisé.
Des gens vomissent contre un mur orné d’un graffiti : « Roi de
rien ! » Ils ont cru agir tel le monarque en mangeant leur porte-bonheur
ou buvant l’eau des fleurs sauf que le muguet est particulièrement toxique.
Tige, feuilles, clochettes, sont mortelles sitôt ingérées. D’une agression
voisine de la digitaline, même l’eau où a plongé ce porte-bonheur enflamme la
gorge, provoque des nausées, diarrhées immédiates. Panique respiratoire,
augmentation fantastique de la pression artérielle, on meurt vite d’un arrêt
cardiaque. C’est une hécatombe dans Paris.
— Ah, nom de Dieu de nom de
Dieu ! Palsangué, vertuguoy, taguienne !…
Sous une frise de pierre où
s’insèrent des enfants joueurs tenant des guirlandes fleuries, Catherine de
Médicis passe, catastrophée, dans le couloir au rez-de-chaussée du pavillon des
reines :
— Bon, le coup du muguet pour
le 1 er mai, ça aussi c’est une idée… il va falloir l’oublier et
le mieux serait qu’en fait le roi retourne à la
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