Charly 9
métier appris, et accort à
fleurer
Les perdrix et les faire en crainte
demeurer.
Le poète canin fait mine de
renifler :
En quatre coups de nez il évente une
plaine
Et guidé par son flair à petits pas
se traîne
Pierre avance sur les genoux.
Le front droit au gibier ; puis
la jambe élevant
Ronsard lève un avant-bras.
Et raidissant la queue (Bon, là…) et
s’allongeant devant
Se tient ferme planté, tant il voit
la place
Et le gibier motté couvert de la
tirasse…
Écoutant le poème, le roi a piqué du
nez en rêvant. Sur la pointe des pieds, sa nourrice s’approche du lit pour
tirer la custode (rideau). Dors, pauvre âme. Le sommeil est le seul bien qui
reste aux malheureux.
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Charly 9, alité, renifle
lentement ses bras qu’il place avec peine au-dessus de son visage. Il hume
aussi le dos de ses mains, ses paumes, entre les doigts, ses aisselles :
— Je sens bon. Le cadavre de
son ennemi sent toujours bon…
En une pièce mitoyenne, fausse
chambre mais absolument reconstituée et meublée à l’identique de la vraie, des
gens s’affairent dans le calme autour d’une couche d’apparat.
Après l’avoir revêtu d’une chemise à
dentelles et d’un magnifique pourpoint tissé d’or, de chaque côté d’un buste en
bois créé par le sculpteur du roi, ils fixent aux épaules des bras articulés
dont ils joignent les mains gantées en position de prière sur le ventre.
À la base du buste et par-dessus le
couvre-lit brodé d’une scène de chasse à courre, ils installent de longues
jambes en cerisier à la taille exacte de celles de Charly 9.
Surveillé par le grand chambellan,
le maître de la garde-robe glisse des bas roses moulants puis, autour de la
taille, une trousse à crevés garnie et très gonflée de linge pour faire plus
vrai. Souliers ornés de rosettes et rubans aux talons couverts de cuir, voilà
ce mannequin chaussé. Il n’y a plus qu’à mettre la tête. Des valets de chambre
l’apportent avec grand soin. Elle est en cire rose et fut moulée la veille à
même le visage du souverain.
— Si jamais le monarque avait
conservé un mince espoir de guérison, le moulage de son visage lui a fait
comprendre qu’il est perdu, commente le maître de garde-robe en aspergeant à
l’excès, d’essence de muguet, les habits royaux du mannequin.
— Il le sait, dit le sculpteur
du roi qui dispose la tête en cire entre le bois des épaules. Pendant que
j’officiais, hier, Mazille est venu lui confirmer que la faculté de médecine le
déclarait sans remède, ne prescrirait plus que des prières, le remettait aux
bons soins du Père Éternel et que d’ici peu, dans les cieux parmi les
bienheureux et bienheureuses, il s’éjouirait avec les anges.
Au creux du col de la chemise
formant une fraise tuyautée pour masquer l’absence de cou, le sculpteur met
bien en place, comme dans un écrin, le visage en cire et, tandis qu’il rectifie
la coiffure postiche, demande à l’un des dessinateurs présents :
— Avez-vous réussi à lui
prendre un cheveu pour qu’on le mêle aux faux afin de donner plus de
naturel ?
— Oui. En mesurant sa largeur
d’épaules, j’ai fait mine d’en avoir arraché un accidentellement.
— Qu’a-t-il dit ?
— Aïe.
Dans ce haut donjon de Vincennes où
s’est aussi installée la Cour, on entend grimper en haut des marches de
l’escalier les pas légers d’une jeune femme qui se dirige vers la porte de la
chambre (la vraie) qu’elle ouvre mais Élisabeth d’Autriche est vite refoulée
par un capitaine qui accourt et lui dit en français :
— Vous n’avez pas le droit
d’entrer ! Ordre de la reine mère.
Par l’entrebâillement de la porte,
Élisabeth a juste le temps de voir la peau de son mari maintenant couverte de
taches noires qui lui font immédiatement penser à un empoisonnement :
— Teufel !
Le soldat la pousse vers l’autre
porte :
— Allez plutôt contempler à
côté votre époux au visage de cire.
La tendre et jeune reine rousse
égarée en cette France pleine de crimes étranges ne la ramène pas, se met en
sourdine avec tout ce dégoût qu’il lui faut taire. Traitée à la fourche selon
la volonté de sa belle-mère, elle finit de gravir l’escalier jusqu’en haut du
donjon pour respirer l’air sur la terrasse où elle se perd des yeux dans la
voûte du ciel.
Un étage au-dessous se précipitent
sur les marches d’autres pas de femme
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