Charly 9
poumon adhère aux flancs
du thorax depuis les fausses côtes jusqu’aux clavicules avec une telle force
qu’on ne pourrait l’en détacher sans le déchirer ou le mettre en pièces.
— Il aura trop soufflé du cor
et ça lui aura détruit la poitrine ! se débarrasse Mazille. C’est vrai, au
Louvre, ce qu’il a pu nous casser les oreilles avec son huchet qu’on pensait
toujours qu’il allait finir par y cracher un poumon !
— Présence d’une vomique
comparable à de l’écume qui a reflué dans la trachée et l’a obstruée.
— C’est bien ce que je
disais !
— Cela n’explique pas les
transpirations de sang, chipote Paré.
— Monsieur le premier
chirurgien, il faut bien que la nature conserve sa part de mystère. Allez,
c’est bon, pour l’essentiel on a compris alors qu’on fasse enfermer le tout
dans un cercueil en plomb. On est bien d’accord sur ce qu’il faudra déclarer,
Paré ?
— Je m’en lave les mains,
répond Ambroise en le faisant dans une bassine pleine d’eau.
Quittant la salle de dissection, le
vieux chirurgien à barbe grise entend fondre derrière lui quantité de courtisans
coiffés de plumes en touffes ou aigrettes qui, connaissant les bruits qui
courent, s’empressent aux nouvelles. Le mémorialiste Brantôme écrira plus tard
dans ses mémoires : « Ambroise Paré nous dit en passant et sans
longs propos que le roi avait trop sonné de la trompe à la chasse au cerf et ne
nous en dit pas plus . »
Resté devant la porte, le premier
chirurgien est plus disert :
— Nous avons pu constater de
visu l’état des viscères exempts de poison. Les bavards perdent leur temps.
Le roi est mort d’avoir trop sonné du cor et d’abus d’exercices amoureux. Ce
n’est pas la reine Catherine mais la chasse et l’amour qui l’ont tué. Puis,
très en verve, il fait le poète :
Pour avoir aimé trop Diane et Vénus
aussi
L’une et l’autre l’ont mis en ce
tombeau icy.
Dans la fausse chambre du roi, le
vrai corps du monarque repose maintenant sous le lit. Dessus se trouve le
mannequin au visage de cire vierge ressemblant au défunt. Il est couronné,
entouré par moult cierges qui flambent et des soldats aux armures étincelantes
paraissant eux-mêmes statufiés. Assis sur des coffres, seigneurs et
gentilshommes ont la larme à l’œil. Le chancelier de Birague renifle près du
roi de Navarre bien marri. Depuis trois ou quatre heures, ils sont là à
regarder l’effigie du souverain déguisé en ange de lumière. Il va être midi,
ils ont faim.
C’est alors que – admettons que Dieu
fasse bien les choses – la porte de la chambre s’ouvre sur un maître d’hôtel et
des officiers de bouche poussant la nef royale à roulettes et apportant, en
premier service, des mets fumants qui fleurent bon les épices, la cannelle et
même le musc. Toute cette nourriture est destinée au roi ( ? !). On
continue de lui servir son dîner et son souper comme s’il était encore en
pleine vie. En France, la royauté ne meurt jamais. Les plats sont posés sur des
chaises vides. L’huissier de salle en fait la liste au mannequin à tête de cire
et jambes en cerisier :
— Majesté, voici du brochet au
beurre blanc, des pigeons, des perdrix, et votre traditionnel pâté d’alouettes.
Le roi ne dit pas merci mais
monsieur de Sauve, secrétaire d’État, salive. Il se lève et vient prendre avec
trois doigts un peu du brochet qu’il porte à ses lèvres :
— Permettez-moi, Sire, d’être
votre goûteur. Il ne s’agirait pas qu’on vous empoisonne. Mh… c’est bon !
Je vous laisse la terrine d’alouettes parce que moi j’en ai jusque-là de cette
spécialité du Pithivrais.
— Il est goûteux, le
poisson ? Et les perdrix, comment sont-elles ? demande Navarre qui
arrive pour en déguster une aile. Fameuses !
Tout le monde pioche dans les plats
sauf celui des passereaux farcis. La terrine est même glissée du talon sous le
lit près du cadavre au sol. Grands seigneurs, cardinaux et gentilshommes se
bâfrent :
— Si, respectant l’Étiquette,
on doit se relayer pendant quarante jours pour veiller la dépouille, autant
prendre des forces.
Un panetier, apportant des miches
dans la chambre, s’extasie devant tous les plats déjà vidés :
— Ah, ben ça va mieux, le
monarque. Il reprend de l’appétit !
— Oui, répond un évêque. Il
aimerait bien maintenant un peu de vin pour faire glisser.
— De
Weitere Kostenlose Bücher