Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
des élèves désireux de
s’instruire auprès de lui. En fait, ricana Diogo Ortiz de Vilhegas, il savait
sans doute mieux mesurer le tissu que la distance entre deux points de la
terre. Il avait obtenu en effet plusieurs exemptions de taxes sur les laines et
étoffes qu’il faisait venir de Flandre. C’est par l’un de ses fournisseurs
flamands qu’il avait fait la connaissance de José de Hurtera, le
capitaine-donataire de l’île de Fayal aux Açores, jadis connu sous le nom de
Joss van Hurten. Les deux coquins s’étaient pris d’amitié l’un pour l’autre et
Martim avait finalement épousé la fille de son ami, Johanna de Macedo, qui lui
amena une riche dot. Depuis, il partageait son temps entre les Açores et
Lisbonne et c’était à ses manœuvres que l’évêque attribuait son éviction de la
Junte des Mathématiciens. Martim Behaim avait insinué qu’il avait fait
commettre à José Vizinho une grave erreur en soutenant que La Mine se trouvait
sous la zone équinoxiale. Si l’affaire s’était ébruitée, elle aurait pu lui coûter
sa réputation. José Vizinho en avait nourri une forte rancune contre son ami,
oubliant un peu vite qu’il avait repoussé jadis d’un ton docte et méprisant ses
objections. En fait, grinça le prélat, Martim Behaim était le digne héritier de
son maître, Regiomontanus, qui avait été assassiné pour avoir calomnié et
couvert à tort de ridicule Georges de Trébizonde, l’accusant d’une erreur qu’il
n’avait jamais commise. En revanche, Behaim n’avait rien trouvé à redire aux
calculs des deux barons. Il est vrai que ceux-ci lui avaient servi de parrains
lors de son admission dans l’ordre du Christ.
En apprenant ce détail, Cristovao avait blêmi. Ce misérable,
tout nouveau venu, avait obtenu ce qui ne lui avait même pas été proposé. Il
avait été armé chevalier pour quelques phrases bien tournées. C’était là une
offense qu’il lui ferait payer chèrement même s’il ignorait pour l’instant son
existence. De fait, il se promit bien d’être désormais plus soucieux de ses
intérêts et de ses mérites, ce qu’il avait fort négligé jusque-là.
*
Pendant des semaines, les portes s’étaient fermées devant
lui. José Vizinho lui avait fait savoir qu’il serait heureux de le revoir mais
s’était bien gardé de donner suite à cette proposition. De plus en plus amer et
déçu, Diogo Ortiz de Vilhegas s’était vu officiellement signifier d’avoir à
quitter la cour et à regagner Ceuta pour y remplir les devoirs de sa charge.
Cristovao lui avait rendu une ultime visite et l’avait trouvé plongé dans la
lecture de Pline l’Ancien :
— J’en découvre les richesses et les merveilles à
chaque fois que je daigne lui consacrer un peu de mon temps. Peu importe que
tout dans ce qu’il dit ne soit pas vrai. Il sait nous faire rêver et nous
surprendre. Ses mensonges ou ses exagérations ont du charme, du génie, je n’en
dirais pas autant de ces chiffres froids et précis dont Martim Behaim se
satisfait. Savez-vous ce qu’est sa nouvelle lubie ? Il prétend être à même
de réaliser une carte de la terre en la faisant tenir sur une boule de bois. Je
ne sais pas s’il y parviendra mais j’ai cru comprendre que le roi avait pris
ombrage de cette idée. Il ne souhaite pas que soient clairement représentées
les routes découvertes par ses capitaines et pilotes.
L’un d’entre eux, Bartolomeu Dias, était précisément de
retour à Lisbonne où il avait discrètement jeté l’ancre fin novembre 1488. À
peine avait-il posé le pied à terre qu’il avait été discrètement conduit au
monastère de Tous les Saints avec ordre de n’en point sortir et d’y attendre
l’audience que lui accorderait Dom Joao dès son retour d’une partie de chasse
dans l’Alentejo. C’est en rendant visite au frère Juliao que Cristovao avait
découvert Diaz somnolant dans le jardin du cloître, là où avait eu lieu sa
première entrevue avec Dona Felippa dont le visage lui était soudainement
revenu en mémoire. Les deux hommes s’étaient naturellement salués. Ils avaient
voyagé jadis de concert à La Mine en compagnie de Diogo Cao et avaient passé de
longues heures à discuter à l’avant du navire, loin des savants qui les
tenaient à distance et les considéraient indignes de participer à leurs débats
érudits. Ils s’en étaient beaucoup amusés et avaient sympathisé, se trouvant de
nombreux points
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