Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
circonstances.
— Il est parti des Açores, c’est-à-dire de là où il ne fallait
pas prendre la mer en direction du ponant. Il est vrai qu’il l’ignorait. J’en
sais beaucoup plus long que lui sur la matière.
— Insinuez-vous par là que vous persistez dans vos
rêveries ?
— Si Votre Majesté met à ma disposition les navires que
je lui avais demandés, je me fais fort de le lui prouver.
— Je croyais que c’est à la Castille que vous aviez
fait désormais allégeance. Vos espoirs ont-ils été déçus ?
— Certes non. J’attends toujours qu’une décision soit
prise. Ceci dit, je n’oublie pas ce que je dois au Portugal et suis à vos
ordres.
— Je n’en ai qu’un à vous donner. Celui de repartir
immédiatement pour Cordoue et d’emmener avec vous votre frère. Vous avez, tous
deux, été depuis trop longtemps associés à nos entreprises pour que nous
tolérions plus avant votre présence ou sa présence dans nos domaines.
Désormais, encore plus qu’auparavant, tout ce qui a trait à nos expéditions
doit être entouré du plus total secret. Je n’ai guère envie que vous disposiez
ici, à Lisbonne, d’informateurs susceptibles de vous renseigner. Je vous sais
assez rusé et retors pour chercher à nous tromper et à nous abuser. Vous
chercherez à trouver le passage découvert par nos capitaines. Seuls la
gratitude que nous avons pour vos précédents services et le sauf-conduit que
nous vous avons accordé nous empêchent d’user d’autres moyens.
Cristovao se jeta aux pieds du roi :
— Je vous supplie d’épargner à mon frère l’exil auquel
vous nous condamnez et auquel je me résigne pour ma part. Il n’est en rien
coupable des erreurs ou des noirs desseins que vous me prêtez. C’est la ruine
qui l’attend s’il est chassé de ce pays.
Dom Joao se leva, signifiant qu’il mettait ainsi fin à
l’audience, non sans ajouter :
— Vous ignorez, messire Cristovao, ce dont nous sommes
convenu avec nos conseillers ici présents. Nous n’avons nullement l’intention
de vous nuire et encore moins d’être la cause de grands malheurs pour votre
frère. Par une faveur exceptionnelle dont vous mesurerez sans nul doute
l’importance, nous avons décidé de l’adouber comme chevalier dans l’ordre du
Christ. Et c’est à ce titre qu’il partira porteur d’une lettre que j’adresse à
ma cousine Isabelle reine de Castille, et à mon cousin Ferdinand d’Aragon, pour
les avertir que la rivalité entre eux et moi a trop duré et que j’entends
sceller notre réconciliation par l’union de mon fils Afonso avec leur fille
Isabelle. Ce sont certes encore deux enfants mais de telles alliances prennent
du temps à être conclues et, quand cela sera, ils auront déjà l’âge de
consommer ce mariage. Ce n’est pas un moindre privilège que d’être le messager
chargé de porter cette bonne nouvelle à la cour de Castille, le titre et la
pension dont je gratifie votre frère pour le faire le dédommageront amplement
des biens qu’il perd. Ainsi en ai-je décidé.
— C’est un titre que j’aurais pu porter si Votre
Majesté m’avait laissé guider ses navires jusqu’à Cypango.
— Votre frère me sert plus en remplissant la mission
que je lui confie que vous ne le feriez en tentant cette entreprise insensée
pour mon compte. Telle est ma volonté.
En sortant du château Saint-Georges, Cristovao était comme
accablé et soulagé à la fois. Accablé à l’idée qu’il avait d’une certaine
manière causé la perte de Bartolomeo, soulagé en sachant que la pension versée
à son cadet et la mission qui lui était confiée le mettaient à l’abri du besoin
et garantissaient son existence pour au moins quelques années. Soulagé aussi
d’avoir compris que les Portugais s’en tenaient à leur idée de gagner l’Inde en
contournant l’Afrique. Il était entièrement absorbé par ses pensées quand
Bartolomeu Dias le rattrapa pour prendre congé de lui. Le capitaine paraissait
hors de lui :
— Soyez sûr, messire Cristovao, que j’ignorais tout des
décisions qui ont été annoncées et qui sont un véritable camouflet pour votre
personne. L’on vous fait là grande injustice en accordant à votre frère ce qui
vous était dû.
— Je vous remercie de me le dire. Cela prouve que vous
êtes un homme d’honneur.
— Sachez que vous n’êtes pas le seul à être aussi
cavalièrement traité. Croyez-vous que cela me plaise beaucoup
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